Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/283

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guindé, prétentieux, rhétoricien, oh ! rhétoricien, empoisonné de rhétorique ! et, par-dessus tout, incorrect. Orateur, sa langue est plus saine. Elle se place assez heureusement sur ses lèvres pour qu’elle y paraisse plus ferme, plus pure, plus ailée, que quand il écrit. D’ailleurs, il y a l’émotion et la voix transfigurant cette langue qui passe et dont il ne reste dans le souvenir qu’un écho ! Voilà ce qui protège son style d’orateur, même dans ses ambitions les plus infortunées. Mais sur ces pages qui restent là, qu’on peut reprendre et qu’on peut relire pour les juger, ce traître style écrit, qui n’a ni la voix, ni le geste, ni l’émotion de la chaire qu’on a sous les pieds, ni les mille yeux attentifs du public qu’on a devant soi, ce traître style écrit dénonce la médiocrité, ou le néant, ou les défauts de l’écrivain. On les voit tous ! Or, je viens de dire ce qu’étaient ceux du R. P. Lacordaire ; et, vous l’avez vu, ils sont nombreux.

Eh bien ! nulle part, ni dans sa Vie de saint Dominique, ni dans ses Mélanges, les défauts en question n’ont été d’une plus triste évidence que dans le livre de Sainte Marie-Madeleine, et j’en veux donner un exemple par plusieurs citations, plus convaincantes que toutes les critiques. L’incorrection inouïe du dernier livre du P. Lacordaire ne vient pas de l’ignorance de la langue ni de l’audace des néologismes ou des barbarismes qui ont quelquefois, quand l’écrivain a de la pensée et reste intelligible, la sauvage grandeur de toute barbarie. Elle ne vient pas non plus de la gaucherie du tour et de l’inhabitude d’écrire. Non, le mal est plus profond : elle vient de l’absence de justesse dans un esprit, brillant souvent, mais jamais excessivement