Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/102

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ces qualités. Il est infécond et circonscrit. Ses meilleures pièces ont dix vers, et les deux derniers sont toujours le dernier soupir de l’homme qui expire… Il ne sait pas jouer des airs longs. André Chénier souvent aussi n’a que dix vers, qui sont toute son haleine ; mais de quelle flûte ce peu d’air enchanté sort ! Brizeux n’a pas la flûte de cristal d’André Chénier ; il n’a qu’un biniou ; mais qu’importe l’humilité de l’instrument, quand celui qui joue est un maître ! qu’importe la langue que l’on parle, quand on sait vraiment la parler ? Le Génie en patois est encore du génie, et parce qu’il n’a pas le soutien d’un idiome riche, harmonieux, complet, comme la grandeur dans l’indigence, il n’en est, — à nos yeux du moins, — que plus beau !

Mais voilà ce que Brizeux le lettré ne comprit pas et ne pouvait pas comprendre. Il n’était pas assez poète pour se passer d’une langue toute faite, et celle qu’il a parlée purement, mais mollement en ces vers, est toute chargée des influences du temps et de l’heure où il les écrivit ! Sa langue, à ce Breton, est, en définitive, la langue de tout le monde, — de tout le monde des poètes du XIXe siècle et sans exception ! C’est celle que parlent, en échos, tous les écolâtres qui s’amusent à ce jeu de raquette des vers ! C’est cette cliquette que nous entendons, à chaque nouveau recueil de poésies, depuis Lamartine ou Chénier.

Pas une seule fois, dans ces trois livres de vers, pas une seule fois, un mot, un tour, — une étrangeté, — une incorrection qui sente le dialecte et les âpres habitudes de sa province n’est venu se mêler à la langue de ce poète par trop francisé à la fin, de ce chantre