Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/71

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y ait plus ou moins de poète. Où il n’est pas, l’expression manque, c’est-à-dire la flamme et la vie. L’invention décroît, puisqu’on la sent moins. Et où l’expression est, au contraire, l’invention, quelle qu’elle soit, fût-elle de l’ordre le plus froidement et le plus prosaïquement scientifique, a doublé.

  • Les Romanciers et les Dramaturges.

Et d’ailleurs, quand le poète est dans l’homme, il envahit l’homme tout entier ; et toutes ses œuvres ont l’intimité et la couleur de sa poésie. Nous n’aurions qu’un chapitre à écrire sur les œuvres de M. de Vigny, et nous serions forcé de choisir un de ses ouvrages pour donner une idée des autres et de son génie, que ce sont ses Poèmes que nous choisirions. Il est si profondément poète dans ses Poèmes que partout ailleurs c’est l’homme de ses Poèmes, diminué, voilé, modifié par les exigences d’œuvres différentes, mais le même cependant, identique et ineffaçable. Lui, toujours ! L’impersonnalité n’existe pas pour les vrais poètes. Qu’est-ce que ce néant dont les êtres qui ne sont pas font à présent une qualité ? Walter Scott, pour prendre un grand nom, c’est toujours Harold ou Marmion, ou la Dame du lac, ou le Lay du dernier Ménestrel, et il l’est dans les romans les plus supérieurs à ses poèmes. Eh bien ! de même, M. de Vigny dans Stello et dans Grandeur et Servitude militaires, est toujours le poète d’Eloa, mais ici, notons une différence avec Walter Scott. Quoique Stello et Grandeur et Servitude militaires soient, dans leur ordre, des chefs-d’œuvre, la poésie d’Eloa est encore plus belle que ces deux livres ne sont beaux !