Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/88

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imbécile qui avorte à tout, même à être grotesque, et qui, dans l’impossibilité de parvenir à être médecin, s’est rabattu à n’être qu’un officier de santé, maladroit et tâtonnant. Bovary est un de ces hommes pour lesquels les femmes les meilleures seraient impitoyables : à plus forte raison Emma Rouault ! C’est Jocrisse en bourgeois, — un Jocrisse sobre et boutonné avec une sentimentalité qui rentre. Il aime sa femme de cette affection des imbéciles du genre tendre, qu’ont certaines espèces inférieures pour les espèces supérieures, ce qui est une question de physiologie animale bien plus que de moralité sensible.

Non content d’avoir expliqué son héroïne par son père, son éducation, son mariage et surtout son mari, M. Flaubert a établi sa madame Bovary dans une bourgade de Normandie, au beau milieu d’une société de petit endroit, composée du pharmacien, du curé, du notaire et du receveur des contributions, et il a bâti sous ses yeux, dans la perspective, le château voisin de toute bourgade, où expirent présentement les vieilles races dans le dernier lambeau de fortune qu’elles ont sauvé des révolutions. Ce château, vu de loin, doit envoyer à la tête de madame Bovary bien des rêves et des convoitises ; mais l’auteur ne se contente pas de ces fumées, de ces curiosités qui sont les incubations d’une corruption dont le principe sommeille, mais va tout à l’heure s’éveiller. Il combine sa fable de manière à ouvrir ce château à son héroïne et à la mêler un soir aux fêtes et au luxe d’une société entr’aperçue seulement dans les livres à couverture jaune qu’elle a lus. Cette soirée au château de la Vaubyessard est, par parenthèse, une des scènes du livre