Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/260

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à percer le cœur du père. Il resta le paladin qu’il était, ne voulant rien devoir qu’à lui-même et à l’héroïsme de son amour.

— J’ai dit aujourd’hui même à Calixte que je l’aimais, fit-il avec la simplicité d’un enfant qui sera plus tard une grande âme, — mais je suis au désespoir, monsieur, car elle m’a répondu qu’elle ne m’aimait pas.

— Elle me l’a dit aussi, Néel, répondit Sombreval, car j’ai cherché à vous faire aimer, moi. J’ai, depuis que Calixte est au monde, pétri cette tête, pétri ce cœur, et y mettre de l’amour pour un beau jeune homme est plus difficile que d’y mettre la vie, — ce problème, cet effort de mes derniers jours.

Oui, j’aurais voulu qu’elle vous aimât ! L’amour heureux aurait une influence sur le plexus nerveux de cette enfant, victime d’une sensibilité morbide et que je ne puis comparer qu’à une harpe éolienne dont les cordes saigneraient en résonnant au moindre souffle. Et puis, pour un vieil observateur de cette chair à canon qu’on appelle les hommes, vous êtes un de ceux contre qui j’aimerais le mieux appuyer ma pauvre fillette avant de m’en aller pourrir, un de ces soirs, dans la vallée. Je serais sûr de l’avoir laissée sur le cœur d’un mâle qui saurait la défendre, et cela me coûterait peu alors de sentir se dissoudre cette matière ferrée