Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/45

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Les deux chimistes contemplèrent longtemps ce jeu de la nature, parfois si capricieusement féroce. Ils se dirent qu’ils trouveraient bien, par la suite, une composition assez puissante pour effacer ce signe imprimé là par la superstition d’une mère, et qui devait troubler si singulièrement l’harmonie d’un visage fait peut-être pour être beau. Seulement le père, en parlant ainsi, ne put apaiser son inquiétude, et il trembla de cette perspective d’avoir à retrouver le Seigneur, offensé et terrible, — immobile à jamais sur le front que sa fille tendrait un jour à ses baisers.

Car il aurait besoin de ses baisers et de ses caresses. Il le sentait bien ! Ce qu’il commençait à éprouver d’affection pour cette enfant, suspendue à la vie par un fil à moitié rompu, devait devenir un sentiment profond, une vraie passion paternelle. Cet amour, qui est un mystère et qui asservit tous les êtres pour les êtres sortis de leurs flancs, s’accomplit dans cet homme, également doué d’une animalité et d’une intellectualité si fortes.

Il aima sa fille parce qu’il était père, mais il l’aima aussi parce que, née sans être viable, il fallait empêcher, à force d’art et de science, de précautions et de divination, qu’elle mourût, et pour ce savant, ce lutteur contre la Nature, elle eut l’intérêt haletant d’un problème. Il par-