Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/123

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de la Poésie et de la Réalité, n’offrent rien, selon nous, de plus complet et de plus effrayant à ceux qui étudient la force d’impulsion des passions que cette Élisabeth de Platen, dont on n’aurait rien dit encore quand on l’appellerait la lady Macbeth de l’amour ! De rang social, elle était la femme du comte de Platen, le maréchal du palais à la cour de Hanovre, et maîtresse du duc régnant (Ernest-Auguste, l’ancien évêque d’Osnabruck). Jusqu’à l’arrivée du colonel Philippe de Kœnigsmark, elle n’avait passé pour rien de plus qu’une femme sans mœurs, ce qui n’était pas une distinction dans cette cour, uniformément corrompue. Nul, parmi ces vicieux superficiels, n’avait soupçonné l’abîme d’âme sans fond caché sous la légère couche de carmin qui teignait cette joue meurtrie ; car Élisabeth avait cessé d’être jeune. Elle avait trente-quatre ans. Les grandes passions ne viennent jamais que tard dans les cœurs qui sont faits pour elles. La comtesse de Platen aima Philippe de Kœnigsmark avec cette ardeur désordonnée et malade que la possession enflamme de plus en plus dans les âmes fortes. Blaze de Bury, qui se souvient trop des types officiels et classiques quand il faudrait analyser, creuser ou peindre, appelle tour à tour madame de Platen Phèdre, Médée ou Messaline, pour nous donner une juste idée des fureurs d’amour, de jalousie et de vengeance, qui luttèrent en elle. Mais de telles appellations ne suffisent pas à l’imagination exigeante lorsqu’il s’agit d’une femme qui eût débouté