Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/340

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laissèrent éteindre jamais ! Tous, comme lui, apprenaient d’abord à danser, pour danser aux menuets du roi, puis à faire danser leurs chevaux dans les carrousels, puis à manier le mousquet et la pique, pour faire danser l’ennemi à son tour ! Comme lui, à dix-sept ans, ils étaient déjà tout prêts pour la bataille et assez vieux pour se battre et mourir ! Tous ils commençaient par être comme lui, ce petit Grignan, de simples volontaires dans quelque régiment de l’armée, ces jeunes gens qui naissaient colonels ! Et quand ils s’étaient battus comme ils dansaient, tous ces danseurs ! ils devenaient mestres de camp, brigadiers, généraux, illustrés finalement d’un coup de canon qui les coupait en deux, s’ils ne mouraient pas comme lui, ce pauvre Grignan, obscurément et bêtement de la petite vérole dans quelque ville de garnison ! Telle était la vie générale, la vie régulière, correcte, irréprochable, réglée comme un papier de musique… militaire et dansante, de toute la noblesse française au temps de Louis XIV, de ce roi qui fut aimé de sa noblesse autant que de La Vallière, et qui ne méritait ni de l’une ni de l’autre le sentiment qu’il eut de leur immortelle fidélité !

Et c’est là ce qui donne tout à coup une importance et une grandeur à cette histoire : c’est que la vie du marquis de Grignan est la vie de tous ces anciens et puissants féodaux qui sont devenus des gentilshommes de cour, — de simples gentilshommes par