Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/219

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blancs, elle entretenait dans le petit ménage une propreté reluisante et trouvait le moyen de faire un salon de poète avec quatre chaises, une étagère et quelques nattes. Son industrie prolongeait les jours d’un gilet ou d’une culotte au delà de toute vraisemblance et leur donnait un certain air qui les faisait remarquer dans le monde ; on ne se serait jamais douté, à les voir, qu’ils avaient tant battu les murailles, et quelles murailles ! Elle restait assise à côté de Poe pendant qu’il travaillait, lui chauffant du café et écoutant ses systèmes de philosophie, passant les nuits, quitte à dodeliner de la tête, à le défendre contre la peur des ténèbres, qu’il croyait peuplées de mauvais esprits. Elle le soignait comme un petit enfant lorsqu’il rentrait ivre, le grondait après, mais n’admettait jamais, vis-à-vis de personne, dût-elle nier la lumière du soleil, que son « Eddie », cet être « généreux, affectueux et noble » (les italiques sont d’elle), pût avoir un tort quelconque en quoi que ce fût : il n’avait que des malheurs.

Et tout cela n’est rien encore auprès de l’inspiration qui lui avait fait écarter des lèvres de Poe le calice de l’écrivain pauvre qui ne réussit pas. Elle lui évita, autant que faire se put, les courses humiliantes chez les éditeurs et dans les bureaux de revues ou de journaux, sous prétexte qu’il n’entendait rien aux affaires d’argent. — « Comment, disait-elle, en aurait-il été autrement, ayant été élevé dans le luxe et l’extravagance ? » C’était elle qui allait « chercher de l’ouvrage » pour son pauvre homme de génie, offrir la copie et reprendre les manuscrits refusés, marchander avec les directeurs et leur demander des avances. La robuste tante Clemm, carrée, musclée, qui semblait ne porter jupon que par une erreur de la nature, était presque aussi connue que son neveu dans le monde de