Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/40

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déprimante de la vie quotidienne, de le relever et de l’amener, joyeux et la tête haute, à la vision et presque au contact des choses divines. Éveiller ce plaisir, susciter la foi aux merveilles du pur idéal, élever l’homme à ce point de vue poétique d’où il aperçoit la vie et ses innombrables manifestations illuminées et ennoblies par l’éclat de la poésie — cela seul, à mon avis, est le véritable but du théâtre. » Le théâtre étant pris ici pour emblème de l’art en général, la page est aussi juste que noble. L’œuvre d’art moralisatrice est celle qui fait passer dans les cœurs un certain frisson, unique et combien joyeux ! que donne, et que donne seule « la vision des choses divines ».

Hoffmann devient inépuisable en théories et en réflexions dès qu’il touche au monde occulte. Il est là dans son domaine. À peine y a-t-il posé le pied, qu’on sent devant soi le vrai Hoffmann.

Il possédait un grand avantage sur le commun des romantiques allemands, qui fabriquaient du fantastique de commande, parce qu’on avait décidé entre poètes de ressusciter le moyen âge, et que le moyen âge était crédule et superstitieux. Leurs personnages surnaturels sentent toujours le bric-à-brac. Ils ne sont jamais faits comme vous et moi, et ne savent pas vivre simplement. On les voit sortir d’une fente de rocher ou du fond de l’eau. Ils sont accompagnés d’un bruit de tonnerre, ou de flammes de bengale. Leurs costumes et leurs manières attirent l’attention. Ce sont des faiseurs d’embarras, et c’est pourquoi ils n’ont pas été populaires longtemps.

Quelle différence avec ceux d’Hoffmann, qui frayait jour et nuit avec les fantômes ! Comme les siens sont modestes et naturels ! L’un de ses héros, le comte Hippolyte, est tranquillement assis à sa table de travail. Il reçoit la visite d’une vieille dame à toilette provinciale,