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DE LA VIE RÉELLE.

Combien de grain, de foin, de paille, de bois et de provisions de bouche ont été absolument ou détruits ou rendus presque sans valeur aucune !

Les provisions qui avaient été achetées par la municipalité de la ville de Sorel, pour les submergés, ont été distribués à ceux de Ste-Anne et de l’Ile du Moine, durant les journées de lundi et mardi.

— Des deux cents personnes, femmes et enfants, qui ont couché dans l’église, la sacristie et le presbytère de Ste-Anne, lundi, à peu près cent cinquante ont été amenées à Sorel, en canot, mardi matin, et logées chez des parents et des amis.

Vingt-deux ont été logées chez M. Napoléon Latraverse ; vingt chez M. Nazaire Latraverse ; dix huit chez M. Magloire Guinard ; huit chez M. le notaire J. N. Mondor ; onze chez M. Thibaudeau, marchand ; neuf chez M. J. A. Chênevert ; quatre chez M. le sénateur J. B. Guévremont ; deux chez M. Arthur Lavallée, et quatre chez M. Charles Rajotte, les autres chez d’autres personnes dont nous n’avons pu nous procurer les noms.

L’eau ayant, depuis mardi, baissé de près de trois pieds, un certain nombre de ces familles sont retournées chez elles, hier après-midi et ce matin.

M. Albert Thibaudeau et son fils se sont donné beaucoup de peine pour aider au transport de tout ce monde.

Toutes les habitations, ainsi que les granges, les hangars, les écuries, etc., sur l’Ile de Grâce, auraient infailliblement été détruites et emportées par la glace, n’eût été la rangée d’arbres qu’il y a en face de la résidence de M. Joseph Latraverse, à la tête de cette île.

La même chose serait arrivée à Ste-Anne de Sorel, mais, ainsi que nous le disions, les plantations, comme celles faites par M. le lieutenant-colonel Paul, et celle entourant la plupart des maison, situées entre l’église et le bas de la paroisse, jusque chez M. Dosithée Latraverse, ont été, pour ces constructions, un rampart contre lequel les banquises sont venues se heurter vainement.

C’est là une leçon pour tous les propriétaires riverains, et nous avons lieu d’espérer qu’ils sauront en profiter.

La plantation d’arbres d’espèce franche devient pour eux d’une absolue nécessité.

Les habitations de l’Ile du Moine et du bas du Chenal du Moine ont été préservées par les piliers, les brise-glace construits par le gouvernement, il n’y a encore que quelques années. Ces brise-glace ont été beaucoup endommagés et ils devront être réparés, de même que d’autres brise-glace devront, à différents endroits, être construits. C’est là un devoir que les derniers événements imposent à nos gouvernants, et nous espérons qu’ils en comprendront toute l’importance.

Nous ne saurions terminer ces notes, jetées à la hâte, sans rendre ici un juste tribut d’éloge à la population de Ste-Anne et des îles pour son esprit de foi, sa belle conduite durant ces jours de désastre et d’épreuves par lesquels elle vient de passer. Il s’est fait, dans cette triste occurrence, des actes de foi bien grande, de soumission parfaite à la volonté de Dieu.

Dans les maisons, sur les perrons, ou accrochées au mur, on voyait des images de la Sainte Face et de la Bonne Sainte Anne ; on implorait, plusieurs familles réunies ensemble, dans d’ardentes prières, la protection du Très Haut, et ces prières, ces actes de foi, ont, nous en sommes convaincu, prévenu de plus grands désastres, des pertes de vies humaines ! Honneur donc à cette brave population, et que les larmes qu’elle a versées,