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DE LA VIE RÉELLE.

plus tard habitée par Parsons, le fondateur du Star de Montréal, qui s’était retiré à Sorel, se livrant à l’agronomie.

Rendu là, fort distraitement, le vieillard, revenu à lui, voyant le soleil radieux, ressentant sa bienfaisante chaleur, prit le sentier conduisant au plus touffu du bois ; il arriva ainsi bientôt au chemin de la comtesse, magnifique allée de verdure embaumée de riches senteurs, bordée de hauts pins dont il reste encore des vestiges attrayants. Il aspirait à pleins poumons l’air réconfortant, se sentant ému et à la fois réjoui au doux chant des oiseaux. Il s’assit au pied de deux arbres, sur une petite élévation, sentant le besoin d’un repos absolu au moins pour quelques minutes.

Les événements récents et effrayants que nous connaissons se présentèrent en bloc à son âme épouvantée ; il disait : “ Mon Dieu ! vous avez créé l’homme à votre image et à votre ressemblance ; vous êtes la bonté même…… pourquoi l’homme est-il si méchant ? Vous avez dit de nous aimer les uns les autres, comme vous nous aimez vous-même Pourquoi sommes-nous si peu charitables ?…… au lieu de suivre vos divins enseignements, nous passons notre vie à nous entre-détruire les uns les autres…… ” Et le vieillard, roulant ces noires pensées, pleurait…… Cette fois, c’était une pluie d’orage tombant sur ses mains jointes…… Ces larmes abondantes rassénérèrent l’âme troublée du noble vieillard. C’est ainsi que le champ desséché reverdit après l’orage ou à la suite des abondantes rosées venant, du ciel, par la grâce du bon Dieu……

Peu à peu, succombant à la lassitude physique et morale, l’excellent homme s’endormit……

Lorsqu’il s’éveilla il était près de midi à sa montre. Le vieillard se sentit rafraîchi par ce court sommeil et, notons le, derechef, par les larmes abondantes qu’il avait versées, soupape de sûreté pour l’âme remplie d’angoisses, de même qu’elles le sont, disent les médecins, physiquement, lors d’un grand ébranlement nerveux.

Du reste, “ bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés,” paroles sublimes et toujours vraies !

Le noble vieillard était le père adoptif de Julie, et Dieu sait que les angoisses qui l’étreignaient pour sa fille bien-aimée, n’étaient pas moindres que celles qu’il aurait éprouvées, si notre héroïne eût été sa fille propre, tant son âme était d’élite.

Le Grand-Vicaire en s’éveillant ne pouvait se lasser d’aspirer à pleins poumons l’air parfumé et vivifiant de ces beaux bois, dont cinquante acres ont depuis été obtenus gratuitement par l’auteur de ces lignes pour la bâtisse d’un collège, qui, soit dit en passant, au lieu de faillir, aurait prospéré si on en eût fait un collège commercial et non classique ; cinquante acres pour les Bonnes Sœurs de l’Hôpital, et douze acres pour un cimetière protestant, autant de services, rendus dont l’auteur, notons-le, fut payé d’ingratitude……

Le Grand-Vicaire continua son chemin à pas lents dans la superbe allée du chemin de la comtesse, couverte d’un tapis velouté produit par les soies tombées des pins, passa l’endroit où se trouve aujourd’hui le cimetière protestant, et gagna à travers le bois le chemin de ligne qui le conduisit au presbytère, où il arriva vers la demie de midi ; — le dîner l’attendait. Le jeune docteur se proposait de retourner à Berthier aussitôt après.

Le curé, à table, rendit compte en peu de mots de l’emploi de son avant-midi, n’omettant rien, si ce n’est son angoisse ; l’état de Julie étant