Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/28

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acharné pendant la guerre (parfois les femmes ont été très véhémentes, parce qu’elles sont plus impulsives que nous et toujours fascinées par le courage masculin), mais nous-mêmes, interrogeons-nous… Au début de la guerre surtout, n’avons-nous pas entendu en nous des voix aussi exigeantes du sacrifice d’autrui ?…

C’est très bien. Et quel que soit l’idéal qui nous a poussé à sortir du silence, pour crier : « Partez, sachez vaincre ou mourir », ce furent, j’en suis certain, toujours de généreuses exhortations. Mais alors, que tous ceux-là qui ont exigé des autres, non d’eux-mêmes, le sacrifice de la vie, ne se croient pas libérés par leur seul acte de foi et par la pacification des peuples quand celle-ci viendra. La victoire elle-même ne leur aura pas donné quittance, comme le dit un de mes personnages. L’idéal dont ils se sont fait volontairement les porte-voix leur a créé une continuité du devoir par delà la mort. Ce devoir, s’il est tenu, la portée morale peut en être immense et la noblesse même de la nation en dépendra en partie. In memoriam æternam ! criera l’Erynnie pitoyable, au grand cœur douloureux ! À vos morts ! maintenant, comme vous avez crié : À vos pièces ! C’est ce devoir-là qu’a finalement compris l’amazone de mon ouvrage, cruelle par impulsion, consciente par réflexion, noble par résolution. À vos morts ! Voilà le grand devoir, la respectueuse pensée que j’ai voulu signifier à des vivants pendant que là-bas se perpétuait l’hécatombe. Et la foule a approuvé et hoché la tête, la grande foule est venue méditer sur sa propre douleur, et sur certains devoirs supérieurs de conscience. Elle a répondu à la sincérité de cet appel. Ah ! l’âme pure de la foule, comme il faut la saluer respectueusement ! Quelle auguste France que la France presque anonyme