Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/338

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cette preuve, ce baiser indéniable, cet affreux baiser, je peux le rayer de ma mémoire… — lui donner, à la rigueur, une raison, un sens… (Appuyant sur les bras.) Juge de la puissance de ma foi ! À cet instant, si tu le veux, je le croirai, je m’y engage solennellement sur tout ce que j’ai de plus sacré… tu n’entendras plus, ni plainte, ni soupçon… si tu jures simplement, en cette minute, devant Pierre qui nous entend, et devant qui tu n’oseras pas mentir, que tu n’aimes pas Jeannine. Je te croirai !

GEORGES a une hésitation, puis fermement.

Non, je ne jurerai pas cela.

ISABELLE, avec un cri de triomphe.

Ah !… tu vois bien… tu vois bien que tu l’aimes !…

GEORGES.

Eh non, non, je ne peux pas et je ne ferai pas pareil serment ! Assez de mots et d’hypocrisie !… En toute la sincérité de mon âme à moi, puis-je dire que je ne l’aime pas ou que je l’aime ?… C’est cela que tu demandes ? Tu veux que je te dise… que je te dise… depuis des mois tu me harcèles ! Tu veux que je te donne d’un mot l’explication de ce qu’il y a en nous de plus intraduisible. Qu’est-ce que tu appelles aimer ? Apprends-moi d’abord où commence l’amour, où finit la pitié, je te répondrai ensuite ! Vous avez des distinctions admirables ! Mais sais-je, moi, de quel nom humain, vous autres, femmes, vous pouvez bien nommer le sentiment que j’éprouve, là, en ce moment, pour cette enfant ? C’est peut-être de l’amour !… c’est possible ! Je n’en sais rien, rien !… Nous vivons depuis deux mois dans une atmosphère de petits mensonges, d’hypocrisie sentimentale. Assez ! Il y a en nous, au-dessus de nous, la vérité profonde. Je ne sais si elle s’appelle amour, ou haine, ou pitié. Elle est comme elle est… Je me refuse à la profaner d’un serment inepte ! El non, mille fois non, je ne sais pas ce que vous appelez amour, de vos bouches de femmes !