Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/38

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signataire de ces pièces, loin de lui la pensée et le ridicule de se plaindre d’un accueil qui fut, à de bien rares exceptions près, entièrement flatteur et plus chaleureux encore que le mérite des ouvrages ne le comportait ! Ce n’est point, croyez-le, le plus ou moins de succès immédiat ou durable qui vaut l’inquiétude de l’écrivain indépendant, soucieux de sauvegarder, même devant le succès, sa liberté de pensée et décidé à n’obéir qu’à lui-même. Les contingences de la réussite, ses étapes et ses routines, sont de peu de poids, pour qui se confine résolument dans une solitude où les joies et les vicissitudes de la vie théâtrale n’acquièrent plus la signification ordinaire. Mais la méconnaissance de ses intentions, voilà le grand chagrin de l’artiste ! Surtout dans une forme d’art qui exige si rigoureusement l’impersonnalité de l’auteur, et qui provoque par conséquent, à foison, les équivoques. On préfère à toute récompense celle d’être pénétré, compris. Nous préférons, si invraisemblable que cela paraisse, qu’on nous accuse de n’avoir pas eu la puissance nécessaire pour soutenir nos desseins, au chagrin de les voir méconnus ou calomniés. Étrange spéculation, soit ! Mais elle est réelle et sans ridicule. Vous en trouverez la trace saignante dans l’histoire de la littérature, et les lettres d’un Flaubert ou d’un Baudelaire, pour prendre l’exemple de haut, sont remplies de cette mélancolie que la renommée ne suffit pas à dissiper. Notre pays, je le sais, est de ceux qu’irritent ou font sourire les paroles de foi des vivants, quand ils ne sont pas, et même d’ailleurs quand ils sont marqués du sceau définitif. Pourtant leur opportunité est grande. Les intérêts de l’art, le dévouement qu’on lui consacre ne sont point vanité. L’art est la raison suprême. Il survit à tout, aux religions, aux patries ; rien ne sub-