Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/41

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quence des idées et des paroles, qui nous valent pourtant de si commodes et de si faciles suffrages. Plantons l’arbre, mais que ses racines qui plongent dans la terre nourricière et généreuse, demeurent invisibles, sous peine de mort… Que le champ visuel de la scène s’élargisse, que les êtres figurés ne laissent pas leur vie dans les coulisses, qu’on les sente se continuer dans l’espace et venus à nous tout chargés déjà d’un passé, issus d’une enfance ou d’une jeunesse déterminées, qu’ils se dirigent vers un point où la mémoire les prolongera bien au delà du drame ; il faut du mystère derrière les portes, de l’air qui circule ; la douleur ou la joie seront appropriées à l’instant, au lieu où elles éclateront. Que les paroles ne soient pas de ces paroles de théâtre, avec leurs syntaxes spéciales où les répliques se renvoient comme des balles de raquettes, — ce qu’on croit être bien à tort, généralement, le style des maîtres, — mais que les mots soient ailés, pareils à ceux que le vent emporte et que la vie étouffe : nous voulons les sentir sur les lèvres où ils expirent, montés des profondeurs de l’être dont ils traduiront tant bien que mal, avec leurs résonances obscures, tout le langage intérieur, tout le lyrisme refoulé, l’inexprimé des volontés, des souffrances, des élans, des joies, des énergies, des désirs. Et que tout cela soit pourtant banal et bête comme l’existence éternelle !

Ah ! je le jure ici, ce n’est point à mes propres pièces que j’attribue la moindre de ces parures ou de ces réalisations ; elles ne sont, elles, en attendant de faire mieux, que d’indigentes œuvrettes, pleines seulement de bonne volonté ; ce sont les filles d’un passant qui n’aura guère tracé sur le mur que de faibles croquis, selon le caprice de l’heure, dénués d’ailleurs de tout autre mérite que leur sincérité résolue et