Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 7, 1922.djvu/88

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LEPAGE.

Tenez, vous auriez dû être homme, vous !… Vous avez raté votre vocation !

THYRA.

Le fait est que je crois que j’aurais conquis l’Europe !… En tout cas, j’aurais été quelque chose… Jeune fille, je me suis consumée pour rien !… Pourtant, qu’est-ce qui gronde… qu’est-ce qui s’impatiente en moi ?… Pourquoi, alors, ces rêves de gloire qui m’ont dévorée dès l’enfance. J’ai rêvé toujours plus grand que nature. Nom d’un chien ! tout cela ne peut pas être pour rien !

(Elle frappe la selle avec rage.)
LEPAGE.

Qui vous dit le contraire ! Plus tard !…

THYRA.

Mais, pour l’instant, c’est infect ! Si, si, vous l’avez dit. Je m’en abîmerais les yeux à pleurer… (Elle pleure enfantinement.) C’est à crever, tenez ! Vous venez d’être catégorique, il faut bien que je vous croie… Mais, tout de même, votre horoscope n’est peut-être pas infaillible ? Si vous vous trompiez !… Ah !… Vous avez un certain toupet, après tout, avec vos affirmations de vieux major !… (Avec exaltation.) Je vous dis, moi, que je peux créer incessamment quelque chose de bien, et avec ces deux mains-là ; je vous dis qu’avec ce désir ardent, fou, je me sens capable de tout ! de réaliser ce que je me suis promis et de gravir, même d’un bond, cet escalier au haut duquel se trouve l’ambition satisfaite… Avoir fait quelque chose de beau ! Une belle chose et…