Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 11, 1922.djvu/172

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tendresse, à travers les ébats du cruel et égoïste amour. C’est elle, souvent, non la passion, qui noue les couples les moins faits pour se joindre… Leurs liens profonds se sont formés dans l’amour physique, mais tout à coup et lentement ils s’en dégagent. Des attractions plus hautes, plus subtiles, plus mystérieuses se produisent ; et voici la durée d’une union sauvegardée. Ces attractions méritent-elles qu’on les appelle : amour ? Non, puisqu’elles n’ont rien d’exclusif et laissent la place à d’autres attirances. Oui, puisqu’elles sont comme une montée idéale de l’âme vers l’altruisme, puisqu’elles sont aussi une adorable survie du désir éteint, le prolongement de l’affection au delà de l’étreinte. La tendresse est un état de l’amour ; voilà tout. Ce mot d’Amour, ne trouvez-vous pas qu’il est devenu vraiment trop primaire pour notre tact moderne ? Les médecins déclaraient autrefois qu’il n’y avait qu’une albumine : le mot répondait à tout. Les chimistes, depuis, en ont découvert quarante espèces différentes ! En psychologie, de même, nous avons cent amours et un seul mot pour les désigner. Dans la vie, ces profonds accords aux espèces si variées, qui associent, de façon souvent occulte, deux êtres en apparence désunis ou dissemblables, nous jettent parfois, quand nous les apercevons, dans une véritable perplexité. Ils troublent l’idée préétablie et harmonieuse que nous nous faisons de l’amour ; en sorte que la plupart du temps nous leur attribuons des mobiles bas, inférieurs ou calculés. Nous supposons des associations d’intérêts, de vice, une véritable complicité… Telle est, en tout cas, l’amène interprétation du monde, dès que quelque chose, dans l’ordre moral, le déroute ou le choque… Or, au contraire, c’est souvent par la beauté, non par la laideur, que des êtres assez vulgaires de-