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depuis l’érudite hardiesse d’avoir osé plus que nos majeurs jusqu’au souverain mépris des triviaux et vulgaires translateurs. Mais sa critique porte sur deux points essentiels, et je crois que les poètes lyonnais, y compris Maurice Scève, ont exercé une certaine influence sur son opinion. Des Autels veut bien le progrès, mais sans commettre envers les poètes de la vieille école l’ingratitude de les décrier comme la faulsse monnaye. C’est que les Lyonnais ont mieux connu ces auteurs ; leurs salons ont été fréquentés par Clément Marot et Mellin de Saint-Gelais, et les poètes de la cour de Marguerite de Navarre ont été souvent les hôtes de la ville riche et éclairée où ils sont allés publier leurs ouvrages. Les Lyonnais seuls ont su que tous ces auteurs n’ont pas été aussi ignorants que leurs vers légers ne le font soupçonner. Comment auraient-ils pu consentir à la proscription de plusieurs poètes fameux qui avaient été leurs concitoyens ? Aussi les formes que ces versificateurs marotiques ont employées, ne sont-elles pas toutes à mépriser ; en quoi une superstitieuse sextine italienne vaudrait-elle mieux qu’une élabourée ballade françoise ?

La critique la plus juste et la plus importante de Des Autels est dirigée contre la théorie de l’imitation. Il ne veut point d’une littérature composée d’éléments qui ne se distinguent d’une traduction que par leur manque d’exactitude. Sans doute, dans l’avenir auquel il songe, le poète étudiera avec soin les œuvres de l’antiquité grecque et latine et de l’Italie moderne pour chercher en quoy gist l’artifice et la grâce d’un bon auteur, et il s’en inspirera, sans pourtant les imiter de près. Il se réservera le droit, il s’imposera même le devoir d’inventer lui-même ses sujets. Qui l’empêchera de faire sortir de la France chose que ny l’arrogante Grèce, ny la curieuse Romme, ny la studieuse Italie n’ avaient encores veue ? De qui ont esté imitateurs les Grecs ?

Voilà de nouveau des idées qui répondent singulièrement aux principes qui ont dirigé la composition des ouvrages de Scève et de ses contemporains lyonnais. Nous avons cherché en vain à établir pour la Délie une liste des sources telle que M. Vianey l’a dressée pour l’Olive. J’ai trouvé beaucoup de ressemblances de détail et un fonds d’idées qui ne diffère pas essentiellement de celui de Pétrarque, mais je n’ai pu constater nulle part un dizain qui soit un essai de traduction d’un sonnet italien. Mêmes recherches inutiles pour la Saulsaye et pour le Microcosme, pour le Débat de Folie et d’Amour de Louise Labé et les Discours des Champs faëz de Claude de Taillemont ; les Lyonnais, semble-t-il, ont une forte tendance à être originaux. L’italianisme règne dans l’âme de ces auteurs depuis leur jeunesse avec une telle puissance qu’ils trouveraient puéril de traduire une œuvre de la littérature