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LUCRÈCE.

λυθὲν ἀναισθητεῖ· τὸ δὲ ἀναισθητοῦν οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς[1]. Plutarque[2] trouvait que ce philosophe faisait là un très-mauvais syllogisme, et qu’il y manquait une proposition nécessaire, savoir celle-ci, la mort est la séparation du corps et de l’âme, ὁ θάνατος ψυχῆς καὶ σώματος διάλυσις. Aulu-Gelle, prenant le parti d’Épicure, convient que le syllogisme, pour être en forme, devait contenir cette proposition-là, mais il soutient qu’Épicure ne s’étant pas engagé à conformer son raisonnement aux règles syllogistiques, l’a supprimée tout exprès, parce qu’elle était assez connue par elle-même. Et il ne faut pas trouver étrange que la conclusion ait été mise non pas à la fin, mais à la tête de l’argument ; car il est arrivé plusieurs fois au philosophe Platon de raisonner de cette manière, c’est-à-dire de renverser l’arrangement des propositions du syllogisme. Voilà ce que répond Aulu-Gelle à la censure de Plutarque. Il n’a pas été au fait, et on le critiqua durement au XVIe. siècle. On l’accusa d’avoir montré sa folie en voulant couvrir celle d’autrui, et de n’avoir pas même entendu de quoi il était question : Nactus autem est patronum (Epicurus) tali prorsùs cliente dignum Gellium : qui dum alienam stultitiam tegere vult, prodit suam. Tantùm enim abest ab eo defendendo, ut ne intellexisse quidem videatur, quid in eo reprehenderetur[3]. On aurait pu ajouter qu’il ignorait en général ce que c’est qu’un syllogisme ; car il suppose que réellement celui d’Épicure est conforme aux règles, et que pour l’être formellement il suffit d’y insérer la proposition que l’auteur a sous-entendue. Or voici quel serait ce syllogisme, en y ajoutant ce qu’Épicure a sous-entendu.

La mort est la dissolution du corps et de l’âme,

Ce qui est dissous ne sent point, et ce qui ne sent point ne nous touche pas,

Donc la mort ne nous touche pas.

Ce syllogisme ne vaut rien du tout, puisqu’il contient quatre termes manifestement et sans équivoque[4]. Il faut donc croire que l’objection de Plutarque n’était pas fondée sur la suppression de la majeure, comme le prétend Aulu-Gelle, mais sur ce que la majeure qu’on sous-entendait, n’était nullement un principe dont on pût tirer la conclusion. C’est assurément la mauvaise qualité de ce principe, et vous voyez clairement qu’après avoir accordé la majeure et, la mineure du syllogisme que je viens de rapporter, on en peut nier la conséquence. Muret s’emporte là-dessus contre Épicure, et le traite d’un impertinent dialecticien. Illius artis (dialectices) ignoratione ruebat in dicendo : sæpèque aliquid probare aggressus, ea sumebat, quibus datis ac concessis, id tamen quod probare instituerat, non concluderetur. Quale est, quod cùm docere vellet, mortem nihil ad nos pertinere, ita ratiocinabatur : Ὁ θάνατος οὐδὲν πρός ἡμᾶς· τὸ γὰρ διαλυθὲν ἀναισθητεῖ· τὸ δὲ ἀναισθητοῦν οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς. Neque enim sequitur, si id quod dissolutum est, sensu vacat, idcircò ipsam quoque dissolutionem non sentiri. Neque mors est τὸ διαλυθὲν, ἀλλὰ αὐτὴ ἡ διάλυσις. Meritòque Plutarchus secundo librorum, quos de Homero composuit, imperfectè, atque præposterè, atque inscitè syllogismo usum esse eum dixerat : non quòd prætermisisset illud λῆμμα, ὁ θάνατος ψυχῆς καὶ σώματος διάλυσις : quo addito, nihilò magis efficietur, quod ipse voluit : sed quod, stupiditate quâdam, et crassitudine ingenii, non pervidisset, quantùm inter id, quod dissolutum est, et ipsam dissolutionem interesset[5]. Et pour nous convaincre que le défaut qui a été reproché à Épicure par Plutarque, ne consiste pas dans la simple suppression de la majeure, il rapporte un passage d’Alexandre d’Aphrodisée[6], où l’argument d’Épicure est censuré précisément comme il suppose que Plutarque le critique. Je ne saurais me persuader que Plutarque eût voulu se mettre en frais pour la censure d’une chose

  1. Diog. Laërt., lib. X, num. 139. Aulus Gellius. lib. II, cap. VIII, pag. m. 55.
  2. Plut., lib. II de Homero, apud Gellium, ibidem.
  3. Muretus, Variar. Lect., lib. XI, cap. XVI, pag. m. 1080.
  4. Voyez, dans les Notes de Gassendi sur le Xe. livre de Diogène Laërce, Oper. tom. V, pag. 131, quelle forme on peut donner à cet argument d’Épicure.
  5. Muretus, Var. Lect., lib. XI, cap. XVI, pag. 1079.
  6. Ex Commentario in primum Topicarum.