Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
ADONIS.

ordinaire qu’on employait pour passer d’Égypte à cette ville. Procope de Gaze raconte ceci tout de même que saint Cyrille[1]. Selon ce dernier, les Grecs croyaient que Vénus était descendue dans les enfers, pour le recouvrement d’Adonis : et comme ils disaient qu’à son retour on avait su qu’elle l’avait retrouvé[2], il fallait que les commencemens tristes et lugubres de la fête se terminassent par de grandes réjouissances.

(K) Sous des laitues. ] C’est Callimachus qui a dit que Vénus cacha Adonis sous des laitues[3]. Selon Cratinus, elle en fit autant à Phaon, pour qui elle avait beaucoup d’amour. Qu’avait fait Athénée de son bon sens lorsqu’il avança que les poëtes ont voulu signifier par une semblable allégorie, que les laitues causent une espèce d’impuissance à ceux qui en mangent ordinairement ? Si elles avaient cette vertu, Vénus les aurait-elle choisies, pour en faire une couverture à ses mignons ? Ne les eût-elle pas abhorrées jusqu’au nom et à la vue ? n’eût-elle pas craint que leur simple attouchement ne fît un mauvais effet ? Remarquez une différence entre Callimachus et Eubulus : ce dernier a dit, qu’après qu’Adonis fut mort, Vénus l’enterra sous des laitues : d’où il infère que cette plante n’est bonne que pour les morts[4]. L’origine de tous ces contes pourrait bien être ce que l’on disait, qu’Adonis, ayant bien mangé d’une certaine laitue qui croissait dans l’île de Cypre, fut tué par un sanglier. Ceux qui feront réflexion sur l’endroit où le sanglier le blessa, trouveront sans peine le dénoûment de tout ceci. Adonis était devenu impuissant pour avoir trop mangé de ces laitues : voilà pourquoi on a feint qu’après cela il reçut à l’aine une blessure mortelle. Il ne faut donc point préférer le mot καταϕυγὼν à celui de καταϕαγὼν[5] ; et il est beaucoup plus raisonnable de penser que Nicander a parlé de cette laitue comme d’un aliment d’Adonis, que de croire qu’il en ait parlé comme d’un asile qu’Adonis chercha contre le sanglier.

J’avertirai mon lecteur, que M. de la Monnaie n’est pas de ce sentiment. Voici une remarque, qu’il a bien voulu me communiquer : « Le καταϕυγὼν des manuscrits est préférable de beaucoup au καταϕαγὼν des imprimés. Nicandre, dans l’endroit que cite Athénée, parle d’une sorte de laitue, sous laquelle, dit-il, Adonis s’était réfugié, lorsque le sanglier le tua. Cela fait un fort bon sens ; au lieu qu’il y en aurait trop peu à dire que c’est de cette laitue qu’Adonis avait trop mangé lorsque le sanglier le tua : l’expression ne serait ni claire ni suivie, et ce ne serait qu’un mélange confus de l’allégorie et de la fable. Il faut prendre garde de plus que θρίδαξ étant du féminin, il faudrait ἧς ou ἣν καταϕαγὼν, parce que alors οὗ se prend adverbialement pour quò. » Il est certain que Casaubon a préféré καταϕυγὼν à καταϕαγὼν[6] : il a confirmé son sentiment par les paroles qui se trouvent dans la même page d’Athénée, ἐν καλαῖς θριδακίναις ἀποκρύψαι[7], in pulchris lactucis abdidisse ; mais il aurait dû prendre garde qu’Athénée ne les rapporte qu’après avoir cité un long passage d’un poëte qui a dit que si quelqu’un mange de ces laitues il ne peut rien faire avec une femme[8]. Remarquez bien que les paroles de ce poëte suivent immédiatement ce qu’a dit Nicander. Or c’est un signe qu’Athénée n’a point écrit οὗ καταϕυγὼν, Mais ἣν ou ἧς καταϕαγὼν. C’en est un signe d’autant plus clair, que nous voyons que cet auteur ayant cité Calimaque, qui a dit que Vénus cacha Adonis sous des laitues, observe que c’est une allégorie destinée à montrer que ceux qui mangent ordinairement cette herbe, deviennent lâches et invalides par rapport à cette déesse : Αλληγορούντων τῶν ποιητῶν ὅτι ἀσθενεῖς εἰσὶ πρὸς ἀϕροδίσια ὁι

  1. Procop. Gaz. Comment. in Esaï., cap. XVIII.
  2. Ἀνελθούσης δὲ ἐξ Ἅδου καὶ μὴν καὶ ἡυρησθαι λεγούσης τὸν ζητούμενον σουνήδεσθαι καὶ ἀνασκιρτᾶν. Cyrill. in Esaïam lib. II.
  3. Apud Athenæum lib. II, cap. XXVIII, pag. 69.
  4. Ibidem.
  5. Dans le passage de Nicander, rapporté par Athénée, là même.
  6. Casaubon. in Athen., lib. II, cap. XXVII, pag. 144.
  7. Casaubon dit κατακρύψαι. C’est le même sens.
  8. Amphis in Ialemo.