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MÉMOIRES.

ponse à deux tranchants, que nous le supplions de vouloir bien examiner avant de nous blâmer de l’avoir écrite : c’est que l’addition de la lettre m, substituée au mot lui, est faite avec si peu de précaution, que le Jay, sa femme, le rapporteur, le greffier et moi, nous avons tous facilement reconnu cette correction d’auteur, lorsque j’ai fait l’examen de la pièce, en leur présence, aux confrontations.

Dira-t-il que, s’étant aperçu sur-le-champ de cette imprudence qui le jugulait, il a changé la phrase au moment où elle venait d’être écrite ? Voici le second tranchant de ma réponse : S’il eût fait ce changement à la copie de le Jay tout de suite et en sa présence, il n’eût pas manqué de le faire de même à la minute que le Jay emportait pour que son commis en tirât copie ; mais dans cette copie, aussi authentique que celle déposée par M. Goëzman, puisque c’est madame qui la dépose, la méprise est restée tout entière : on y lit la phrase écrite ainsi, suivant la première leçon : Madame Goëzman m’a dit que ma proposition rejetée était de nature à lui attirer la disgrâce de son mari, etc. Cette correction, qui met une telle différence entre le sens des deux copies, prouve que celle de le Jay est demeurée au magistrat, pendant que la copie du commis se faisait chez le Jay, sur la minute non corrigée de M. Goëzman ; ce qui renforce de plus en plus les preuves que j’ai données, qu’il existait une minute de la main du magistrat.

Et mes remarques sur cette correction d’auteur s’appliquent également à toutes les différences qui se trouvent entre la déclaration dictée à le Jay par madame Goëzman, et celle de la main de M. Goëzman, copiée par le commis de le Jay.

C’est ainsi qu’en les confrontant on voit (dans celle de le Jay) une montre garnie en diamants, (dans celle du commis) une montre à diamants, (dans celle de le Jay) les plus fâcheuses disgrâces de la part de son mari, s’il en apprenait quelque chose, j’ai gardé la montre, etc., ce qui présente un sens fort niais ; (dans celle du commis) les plus fâcheuses disgrâces de la part de son mari, s’il en apprenait quelque chose. En conséquence, j’ai gardé la montre, etc. ; en conséquence est une liaison très-nécessaire entre les deux phrases ; (dans celle de le Jay) le sieur de B. m’a écrit une lettre impertinente, comme si négligé ou tri ses intérêts, ce qui n’a nul sens ; mais à quoi M. Goëzman en a donné un, en écrivant de sa main, sans mystère, en interligne, au-dessus des mots si et négligé, le mot j’eus, et en chargeant le mot tri, dont il a fait à peu près trahi ; et la phrase marche ainsi corrigée : Le sieur de B. m’a écrit une lettre impertinente, comme si j’eus négligé ou trahi ses intérêts, etc., ce qui devient au moins intelligible : j’eusse négligé eût été plus correct, mais enfin on l’a corrigé comme cela. La copie du commis porte : Le sieur de B. m’a écrit une lettre impertinente, comme si j’avais négligé ou trahi ses intérêts, etc. Le mot j’eus interligné par M. Goëzman complète la preuve que ce magistrat n’a corrigé la copie de le Jay que pendant l’absence de sa propre minute ; au lieu d’écrire j’eus, il n’aurait pas manqué d’écrire j’avais, comme le porte la copie du commis, fidèlement transcrite sur sa minute : (le Jay) soutenant tout ce qui pourrait être dit… est calomnieux, etc. ; (le commis) soutenant que tout ce qui pourrait être dit… est calomnieux, etc.

Voilà donc sept endroits qui diffèrent essentiellement dans les deux déclarations, dont un mot ajouté, un mot effacé, un mot substitué, un mot interligné et un mot chargé dans celle de le Jay par une main étrangère : et c’est sur une pareille pièce, mendiée, sollicitée, suggérée, minutée, dictée, corrigée, surchargée et niée par ce magistrat, qu’il établit une dénonciation en corruption de juge et en calomnie contre un homme innocent !

Quelle étrange opinion aviez-vous donc de votre pouvoir, monsieur, si vous avez pensé qu’il vous suffît, pour me faire condamner au parlement, de m’y dénoncer sur la foi d’un tel titre ? Avez-vous présumé que ce tribunal m’empêcherait d’opposer à la fausseté de votre attaque la vérité de mes défenses, la force de mes preuves à la ruse de vos moyens ? Détrompez-vous, monsieur : la vivacité de ses recherches prouve l’austérité de ses principes, et non sa complaisance pour vos ressentiments. C’est à vous de vous justifier, homme cruel, qui, après avoir opiné si durement à ce qu’on m’enlevât ma fortune, m’avez ensuite injurieusement dénoncé : car je vous préviens que cet argument ne convaincra personne : Je suis conseiller au parlement, donc j’ai raison.

Mais n’anticipons rien : avant de parler de la dénonciation de M. Goëzman, nous avons une seconde déclaration aussi importante que la première à examiner.

J’écarte en vain une foule de moyens, pour me renfermer dans les principaux : leur abondance m’accable. Ô M. Goëzman, que de mal vous me donnez ! mais je veux m’en venger en vous démasquant si bien aux yeux du public, que désormais vous deviendrez plus réservé dans vos attaques. Avançons.

Le Jay, toujours au secret, interrogé de nouveau, répond qu’environ dix jours après sa première déclaration, M. Goëzman l’a encore envoyé chercher, et lui a dit uniquement : N’est-il pas vrai, Monsieur le Jay, que vous avez rendu la montre et l’argent devant témoins, et qu’on n’avait rien soustrait des deux rouleaux ? — Cela est vrai, monsieur. — Écrivez donc, au dos de votre première déclaration, ce que je vais vous dicter : et il assure que le magistrat lui dicta, sans en faire de minute, la déclaration suivante.