Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/362

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à nos juges, ne mesuré-je pas à l’instant mon ton sur la dignité de mon sujet ? et mon profond respect, alors, est-il au-dessous de ma parfaite confiance.

Faut-il, pour vous plaire, que je sois, comme Marin, toujours grave en un sujet ridicule, et ridicule en un sujet grave ? lui qui, au lieu de donner son riz à manger au serpent, en prend la peau, s’en enveloppe, et rampe avec autant d’aisance que s’il n’eût fait autre métier de sa vie.

Voulez-vous que d’une voix de sacristain, comme ce grand indécis de Bertrand, j’aille vous commenter l’Introibo, et prendre avec lui le ton du Psalmiste, pour finir par chanter les louanges de Marin, après avoir discerné ses intérêts de ceux du gazetier dans son épigraphe : Judica me, Deus, et discerne causam meam… ab homine iniquo, etc. ?…

Irai-je montrer une avidité, une haine aveugle et révoltante, en imitant le comte de la Blache, qui vous suit partout, vous M. Goëzman, vous défend dans tous les cas, vous écrit dans tous les coins, et qu’on peut appeler, à juste titre, votre homme de lettres ?

Serait-il bienséant que, d’un ton boursouflé, j’allasse escalader les cieux, sonder les profondeurs de l’enfer, enjamber le Tartare, pour finir, comme le sieur d’Arnaud, par ne savoir ce que je dis ni ce que je fais, ni surtout ce que je veux ? Eh ! messieurs, laissez mon style, et tâchez seulement de réformer le vôtre. Je n’ai qu’à vous imiter, et me mettre à dire, comme vous, des injures pour toutes raisons ; personne ne sera lu, et l’affaire n’en marchera pas mieux.

Il faut pourtant une fin, messieurs : car toutes vos intrigues, vos cabales, vos criailleries, vos mémoires, vos efforts pour me rendre odieux aux puissances, aux ministres, au parlement, au public, ne sont pas le fond de l’affaire. Je vous vois, je vous suis dans vos marches ténébreuses.

Je sais que vous me donnez partout pour un émissaire des mécontents, chargé de ridiculiser le système actuel ; mais cela ne prendra pas, je vous ou avertis ; je sais aussi que c’est le sieur Marin qui a suggéré au sieur Bertrand de dire que je favorisais la … ; qui lui fait prêter à ma sœur le propos que mes mémoires serviront de suite à la … Je sais même que vous travaillez tous à me faire passer pour l’auteur de la … J’indiquerais, si je voulais, le lieu où l’on s’assemble pour conspirer ma perte, où l’on tient ce sabbat, ce tribunal de haine ; je dirais quel est le président de cette noire assemblée, quel en est l’orateur, quels en sont les conseillers, quel en serait, au besoin, le bourreau…

Allez, messieurs, entassez noirceurs sur noirceurs, dénigrez, calomniez, déchirez. Tourmenté sous le fouet des Furies, Oreste embrassait la statue de Minerve, et moi j’embrasse celle de Thémis ; il demandait à la Sagesse d’expier ses crimes, et moi à la Justice de me venger des vôtres.

Calmons nos sens, quittons la figure ; et débattons froidement, si je puis, tous les écrits livrés à mon examen.

Pour commencer, remettons sous les yeux de mes juges un tableau succinct de tout ce que contiennent mes mémoires ; et rendons à mes défenses, par la brièveté d’un résumé, la force que leur étendue a peut-être énervée. Mais lorsqu’on réfléchira que je suis dénoncé sans être coupable, décrété sans corps de délit, poursuivi à l’extraordinaire dans un procès où j’avais droit de me rendre accusateur ; on me pardonnera d’avoir enchaîné par la multiplicité des détails la vérité furtive, et toujours prête à s’égarer dans une affaire aussi chargée d’incidents étrangers.

Dans ces mémoires j’ai dit en substance :

Désolé de ne pouvoir obtenir d’audience de mon rapporteur, j’ai dû au seul hasard l’intervention du sieur le Jay, que je n’ai jamais vu, pour arriver à madame Goëzman, que je n’ai jamais vue, et pénétrer enfin jusqu’à M. Goëzman, que je n’ai fait qu’entrevoir.

Prisonnier et souffrant, deux objets seuls m’intéressaient : la promesse des audiences et le prix qu’on y attachait ; le zèle de mes amis a fait le reste.

J’ai dit et prouvé qu’il n’y aurait pas eu moins d’absurdité à moi d’espérer corrompre un rapporteur incorruptible, à travers sept intermédiaires, qu’il n’y a eu de cruauté à lui de le supposer en me dénonçant.

J’ai dit et prouvé qu’après avoir sacrifié cent louis pour obtenir une audience, je n’avais que plus vivement recherché celui à qui je la demandais : démarches, comme on sait, très-superflues pour qui se fût flatté d’avoir corrompu le juge en payant sa femme.

J’ai dit et prouvé que, quand j’aurais voulu le corrompre, dès qu’il soutient être resté incorruptible, le mal n’ayant pas eu son effet, l’intention non prouvée ne serait jamais un délit punissable dans les tribunaux.

J’ai dit et prouvé que je n’avais eu qu’une seule et unique audience de M. Goëzman ; et je reviendrai encore sur la preuve de ce fait qui m’est de nouveau contesté.

J’ai dit et prouvé que madame Goëzman avait reçu cent quinze louis ; qu’elle en avait depuis rendu cent, mais en avait réservé quinze.

J’ai dit et prouvé que M. Goëzman était l’auteur des déclarations de le Jay ; qu’il avait minuté la première et dicté la seconde ; enfin, qu’il avait fait un faux, puis une dénonciation calomnieuse, au parlement contre moi.

J’ai dit ensuite, sans le prouver, que mon exposé était en tout conforme aux dépositions des témoins et interrogatoires des accusés ; mais la preuve est au procès.