Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/385

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un malhonnête homme ; il leur donnait en preuves que Mesdames, qui m’avaient autrefois honoré de leurs bontés, ayant reconnu depuis que j’étais un sujet exécrable, m’avaient fait chasser de leur présence, et rendaient ce témoignage de moi. Ces propos, qui frappaient tout le monde et mettaient des nuages dans toutes les têtes, me furent rendus par quelqu’un qui me dit : Il est de la plus grande importance pour vous de les détruire ; ils vous font un tort affreux dans l’esprit de vos juges ; il n’y aurait même pas de mal, ajoutait-on, que vous vous fissiez étayer auprès d’eux d’une aussi puissante protection que celle des princesses, contre un adversaire avide, adroit et peu délicat, à qui tout est bon, pourvu qu’il vous ruine et vous déshonore.

Je ne solliciterai, répondis-je, aucune protection pour un procès qui n’en a pas besoin : Mesdames auraient lieu d’être très-offensées que j’allasse me rappeler à leur souvenir aujourd’hui, pour obtenir un appui dans une affaire où elles ignorent si j’ai tort ou raison. Mais ce dont elles ne peuvent pas s’offenser, c’est que je les prie de m’accorder un témoignage public que je me suis toujours comporté avec honneur tant que j’ai eu l’avantage de les approcher. On a l’indécence de leur prêter des discours qu’elles n’ont jamais tenus ; ces discours peuvent entraîner ma ruine, en indisposant, en égarant mes juges. Un serviteur soupçonné montre avec joie les certificats de tous ses maîtres ; un militaire attaqué sur sa bravoure atteste les généraux sous lesquels il a eu l’honneur de servir : de tout inférieur à son supérieur, le certificat mérité qu’il sollicite est de droit rigoureux. J’oserai donc, non implorer la protection des princesses, mais invoquer leur justice ; et je m’expliquerai si clairement dans ma demande, qu’elles ne puissent pas me supposer l’intention de faire un criminel abus de leurs anciennes bontés, ni de les solliciter en faveur d’une cause qu’elles ne connaissent peut-être que par le compte insidieux et faux que mon adversaire en a fait rendre autour d’elles. Et j’écrivis sur-le-champ la lettre suivante à madame la comtesse de P…, leur dame d’honneur :

« Du février 1772.

« Madame la comtesse,

« Dans une affaire d’argent qui se plaide à Paris, et sur laquelle mon adversaire n’a fourni que des défenses malhonnêtes, il a osé sourdement avancer chez nos juges que Mesdames, qui m’avaient honoré de la plus grande protection autrefois, ont depuis reconnu que je m’en étais rendu indigne par mille traits déshonorants, et m’ont à jamais banni de leur présence. Un mensonge aussi outrageant, quoique portant sur un objet étranger à mon affaire, pourrait me faire le plus grand tort dans l’esprit de mes juges. J’ai craint que quelque ennemi caché n’eût cherché à me nuire auprès de Mesdames. J’ai passé quatre ans à mériter leur bienveillance, par les soins les plus assidus et les plus désintéressés sur divers objets de leurs amusements. Ces amusements ayant cessé de plaire aux princesses, je ne me suis pas rendu importun auprès d’elles, à solliciter des grâces sur lesquelles je sais qu’elles sont toujours trop tourmentées. Aujourd’hui je demande, pour toute récompense d’un zèle ardent, qui ne finira point, non que madame Victoire accorde aucune protection à mon procès, mais qu’elle daigne attester par votre plume que, tant que j’ai été employé pour son service, elle m’a reconnu pour homme d’honneur, et incapable de rien faire qui pût m’attirer une disgrâce aussi flétrissante que celle dont on veut me tacher. J’ai assuré mes juges que toutes les noirceurs de mon adversaire ne m’empêcheraient pas d’obtenir ce témoignage de la justice de Mesdames. Je suis à leurs pieds et aux vôtres, pénétré d’avance de la reconnaissance la plus respectueuse avec laquelle je suis,

« Madame la comtesse, etc.

« Signé Caron de Beaumarchais. »

Y a-t-il, dans tout ce qu’on vient de lire, un seul mot qui tende à demander protection et faveur pour mon procès ? Y sollicité-je autre chose qu’un témoignage de bonne conduite et d’honneur, pendant que j’avais approché des princesses ? Voici la réponse que je reçus de la dame d’honneur : « Versailles, ce 12 février 1772.

« J’ai fait part, monsieur, de votre lettre à madame Victoire, qui m’a assuré qu’elle n’avait jamais dit un mot à personne qui pût nuire à votre réputation, ne sachant rien de vous qui pût la mettre dans ce cas-là. Elle m’a autorisée à vous le mander. La princesse même a ajouté qu’elle savait bien que vous aviez un procès ; mais que ses discours sur votre compte ne pourraient jamais vous faire aucun tort dans aucun cas, et particulièrement dans un procès, et que vous pouvez être tranquille à cet égard.

« Je suis charmée que cette occasion, etc.

« Signé T., comtesse de P… »

Il n’est donc pas vrai, M. le comte de la Blache, que je sois l’homme malhonnête et couvert d’opprobre que Mesdames, selon vous, ont dit avoir chassé de leur présence, à cause de mille traits déshonorants dont il s’était rendu coupable ?

Voyons maintenant si j’ai abusé de ce témoignage ; voyons si j’ai voulu m’en servir pour me rendre mes juges favorables, en leur allant dire ou en écrivant, que Mesdames m’avaient permis de m’appuyer de leur protection auprès d’eux, et qu’elles prenaient un vif intérêt à mon affaire.

Je ne vis aucun de mes juges, et je me conten-