Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/475

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rait vous nuire que dans l’opinion des hommes, et ne fait rien non plus au jugement du procès.

Quelques personnes même ont été jusqu’à balancer si, entre deux plaideurs qui se disputent une somme aussi modique, il n’était pas plus probable qu’un héritier peu délicat s’obstinât à la refuser, au seul risque de passer pour une âme vile, étroite et rapace, qu’il ne l’est qu’un créancier aisé s’acharne à la demander, armé d’un faux titre, au danger d’être puni comme le dernier des scélérats.

Huit ans de procédures sur un tel fait inspirant enfin la curiosité d’examiner les choses, on lit tous nos mémoires, et l’on y voit qu’après avoir été traîtreusement déchiré par tous les écrivains aux gages de mon adversaire, il y a longtemps que cette affaire a dû cesser pour moi d’être un procès d’argent. On y voit que je ne puis, sans déshonneur, me dispenser de le suivre et de le faire juger, quoiqu’il m’ait déjà coûté vingt fois plus qu’il ne doit me rendre.

Mais on y voit aussi que la fierté de mes répliques a dû donner un tel discrédit à mon adversaire, que, se voyant poursuivi par le regard inquiet de tout ce qui l’entend nommer, et se sentant partout couvert de l’opprobre dont il a voulu me salir, le désespoir de son état doit l’engager d’épuiser toutes les chances possibles d’un débat inégal avant de s’avouer vaincu ; qu’il vaut encore mieux pour lui se réserver de dire après coup : Les juges ont vu d’une façon, moi je vois de l’autre ; que si, descendant à quelque traité conciliatoire, il justifiait par un dur accommodement l’affreuse opinion que sa défense a donnée de son caractère.

Alors l’examinateur bien instruit sait au juste pourquoi nous plaidons, le comte de la Blache et moi.

Ce qu’il voit fort bien encore, en lisant l’écrit que je réfute, c’est que l’avocat, désolé de ne pouvoir offrir pour son client que des allégations sans preuves, et de n’opposer que des riens contre un acte inexpugnable, a cru devoir au moins noyer ces riens dans un tel océan de paroles, que le lecteur égaré pût supposer que, s’il n’entendait pas le raisonneur, il était possible, à toute rigueur, que le raisonneur s’entendît lui-même.

Mais ne prenez pas la peine de le suivre, et laissez-m’en le soin, lecteur. Dès le premier pas, je vois déjà que son argument tourne entièrement dans ce cercle vicieux.

Prenant partout pour accordé le seul point qui soit en débat, cet avocat s’enroue à vous crier : L’acte du 1er  avril 1770 est bien reconnu faux ; donc telle quittance ou telle somme qu’on y porte au débit n’a pas été fournie. L’acte du 1er  avril est faux ; donc tel contrat qu’on y éteint n’est qu’une chimère. L’acte du 1er  avril est faux ; donc ce traité qu’on y résilie n’a jamais existé, etc.

Après avoir longtemps et pesamment raisonné, le triste orateur, se flattant que l’ennui des conséquences a fait oublier le principe au lecteur, se retourne, et, semblable au serpent qui, se mordant la queue, accomplit le cercle emblématique, il revient sur lui-même, et vous dit vicieusement : Puisque j’ai prouvé que telle somme est fausse, que telle quittance est double emploi, que tel contrat est une chanson, que tel traité n’est qu’une chimère, on ne peut me refuser, messieurs, que l’acte qui contient autant d’articles prouvés faux ne soit évidemment faux, nul et frauduleux lui-même. — Et puis payez, beau légataire, votre avocat subtil ; il a bien convaincu vos juges et vos lecteurs !

Mais j’ai tort de le quereller : s’étant établi votre défenseur, il a dû n’employer que les arguments que vous lui fournissiez : tant pis pour vous s’ils sont mauvais ! c’est votre affaire, et point du tout la sienne. Aussi, lorsqu’il se livre à son propre sens, y marche-t-il avec plus de circonspection : plus vos imputations deviennent graves, et moins il veut les prendre sur son compte.

Tant qu’il ne s’agit que de conjectures sur les prétendues erreurs, doubles et faux emplois, etc., que vous reprochez à cet acte ; comme il sait bien que dix preuves négatives n’en détruisent pas une affirmative, et qu’à plus forte raison, contre un acte signé de deux hommes reconnus sensés, toutes les allégations du monde, dénuées de preuves, sont moins qu’un fétu, c’est sans scrupule qu’il erre avec vous dans le vague d’une foule d’objections contradictoires et plus futiles encore : il ne se croit pas compromis.

Mais lorsque, forcé d’abandonner ce vain badinage, il vous entend articuler que j’ai appliqué après coup de fausses lettres sur les feuilles de plusieurs réponses de M. Duverney ; alors, se refusant à présenter ces horreurs comme sa propre opinion, il veut qu’on sache absolument que c’est la vôtre seule qu’il rapporte.

Ainsi, lorsque, ayant imprimé plusieurs lettres ostensibles, de moi, trouvées sous le scellé de M. Duverney, vous l’obligez à casser les vitres sur les autres ; après vous en avoir fait sentir les conséquences, il poursuit en ces termes :

(Page 41.) « Ces préliminaires établis, il a été exposé aux soussignés que, quand le sieur de Beaumarchais écrivait pour demander un rendez-vous à M. Duverney, qui ne croyait pas lui devoir beaucoup de cérémonie, etc., on a ajouté que le sieur de Beaumarchais, ayant conservé quelques-unes de ces réponses…, a formé le projet de faire passer ces petits écrits de M. Duverney comme des réponses à des lettres qu’il a forgées, etc. »

(Page 42.) « ON a encore dit aux soussignés, etc. Enfin ON a mis sous les yeux des soussignés les