Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/500

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titres ont disparu du secrétaire, parce que, n’ayant point de preuves légales à donner de ce fait, il faudrait toujours en revenir au problème que j’ai proposé, page 363 de mon mémoire au conseil, où il faut le voir en entier : c’est le gâter que l’extraire.

Je passerai sous silence les inductions que je pourrais tirer de tous les procès qu’il a faits ou soutenus contre tout ce qui tenait à M. Duverney. J’en ai cité de faibles échantillons (page 348 de ce même mémoire au conseil), sur des portraits légués à M. de Brunoy. Le seigneur ON les a niés, parce que c’est la seule façon du seigneur ON de convenir des choses. Et moi qui n’en veux pas reparler ici, je le pourrais pourtant bien, parce que le fait est vrai, que la preuve, les dits et contredits à ce sujet sont consignés aux papiers de l’inventaire Duverney ; mais comme, après l’inscription de faux où je veux le réduire enfin, nous aurons un autre petit procès dans le genre criminel ensemble, et qu’alors j’aurai plus d’un droit acquis de consulter les papiers Duverney, je m 1 manquerai pas d’en extraire ce fait, ainsi que plusieurs autres que je réserve aussi pour ce temps-là.

Ses autres ruses à mon égard sont si connues, qu’il suffira de les rappeler en bref, et de citer les pages de mes mémoires où l’on peut s’en assurer et les voir établies dans le plus grand détail.

Nous plaidions aux requêtes de l’hôtel. « Mon adversaire, sentant bien que le fond du procès ne présentait aucune ressource à son avidité, employait celle de jeter de la défaveur sur ma personne, pour tâcher d’en verser sur ma cause. En conséquence, il allait chez tous les maîtres des requêtes, nos communs juges, leur dire que j’étais un malhonnête homme. Il leur donnait en preuves que Mesdames, qui m’avaient autrefois honoré de leurs bontés, ayant reconnu depuis que j’étais un sujet exécrable, m’avaient fait chasser de leur présence… » Mais il faut lire toute cette abomination dans mon troisième mémoire sur le procès Goëzman.

On verra comment j’obtins de Mesdames une attestation de probité ; comment il essaya de la détruire par une infernale intrigue ; et comment, sur ce fait, il me donnait à Paris pour faussaire, afin de rapprocher ce prétendu faux de celui dont il voulait qu’on suspectât l’acte du 1er  avril, et gagner son procès par cette ruse. Enfin, on y verra comment, l’indignation ranimant ma force épuisée par le travail et la douleur, je l’ai couvert du dernier opprobre à cet égard, en publiant les preuves de son infamie. (3e mém. Goëzm.)

Un autre incident, plus grave encore que l’attestation des princesses, arrivé pendant les mêmes plaidoiries des requêtes de l’hôtel, mériterait bien d’être placé dans ce recueil ingénu des ruses. Mais comment le traiter ? comment le peindre ? Il est si subtil, si délié, qu’il se perd sous la plume et s’évapore à la diction !

Les grands traits sont aisés à rendre : on lit le fait, un coup de pinceau large y suffit. Mais quel art il faudrait pour bien développer une de ces noirceurs filées, distillées, superfines, la quintessence de l’âme et le caramel des ruses : de ces noirceurs enfin qui, naissant d’une foule de combinaisons, de préparations ignorées, frappent un coup d’autant plus fort, au moment qu’elles éclatent, qu’on peut moins en saisir, en montrer, en prouver sur-le-champ l’odieux assemblage. Essayons cependant d’ébaucher celle-ci, qui m’aurait enlevé le pain de la cause et m’eût déshonoré tout d’une voix, si mon bonheur ne m’eût conduit ce jour-là même à l’audience. Voici le fait.

L’avocat du comte de la Blache (Me  Caillard) avait prié le mien de lui confier encore une fois l’acte du 1er  avril et les lettres de M. Duverney. Celui-ci m’en parle, en m’assurant que cela est sans risque, et m’engage à m’y prêter : après quelques refus, je n’y consens qu’à la condition que ce sera moi-même qui les remettrai à Me  Caillard. Il les reçoit de ma main : les pièces restent cinq jours dans les mains ennemies ; on les rend à mon avocat : mais, peu de temps après, ce moulin à paroles de Caillard, plaidant avec la plus grande indécence, aux requêtes de l’hôtel, contre moi présent et souffrant tout, pendant que le comte de la Blache ricanait dans un coin avec un petit solliciteur de procès, nommé Chatillon, qu’il a élevé depuis à la dignité de son compagnon d’armes à Aix, j’entendis Caillard articuler ces mots :

« Messieurs, une preuve décisive que les billets du sieur de Beaumarchais ont été appliqués après coup sur d’anciennes lettres de M. Duverney, c’est l’observation que nous avons faite sur celui du 5 avril, auquel M. Duverney, dit-on, a répondu : Voilà notre compte signé. »

L’avocat se fait donner cette lettre ; et, la montrant à l’audience, dit à haute voix (et moi Beaumarchais, je prie le lecteur de lire ceci avec bien de l’attention) :

« Messieurs, la cour saura que M. Duverney, en envoyant autrefois ce billet, avait écrit au bas du papier, comme c’est assez l’usage, ces mots : M. de Beaumarchais. Je remarquerai d’abord qu’on n’écrirait pas ces mots indicatifs de l’homme à qui l’on veut envoyer une lettre, si elle était une réponse écrite sur le même papier ; ce qui prouve déjà que le billet n’est pas une réponse, mais une première lettre.

« Or le sieur de Beaumarchais, en abusant depuis de ce billet, pour y appliquer après coup une première lettre, ne s’est pas aperçu de ces mots écrits par M. Duverney au bas du papier : M. de Beaumarchais. Voulant donc cacheter le billet qu’il venait de forger après coup, pour lui donner au moins l’air d’avoir été envoyé, il a cou-