Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/522

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filet, appeler à son aide tout le conseil des rats, je ne vois pas qu’aucun d’eux m’ait encore attaché le grelot. Bien est-il vrai qu’à vous sept vous avez cru me frapper du glaive de la parole. Mais tout compté, tout débattu, lorsque vous m’avez passé tous au fil de la langue, il se trouve qu’il n’y a de blessé que l’oreille de vos auditeurs.

Pourquoi ne pas laisser au comte Falcoz le soin important de m’injurier et de me calomnier ? Il s’en acquitte si bien ! Puis, sitôt qu’on sait quel il est, chacun se retire, en disant : Tant qu’il vous plaira, M. Josse En effet, il est bien le maître ; mais vous ! vous, messieurs !

Laissons cela. J’ai trop à me louer du barreau de cette ville, et j’y ai reçu des témoignages d’un zèle trop obligeant de tous les jurisconsultes, pour que je garde un peu de ressentiment contre quelques-uns d’entre eux. En écrivant ainsi, vous ne m’avez fait aucun mal ; vous n’avez trompé personne, et vous avez bercé votre client. Vous avez senti que toutes vos petites ruses de Palais seraient vertement relevées si j’avais le temps de prendre la plume, et vous vous y êtes livrés sans scrupule : aussi votre ouvrage, fait à la hâte, un peu verbeux et sans esprit, comme les miens, est-il parfois jésuitique, obscur, louche et frisant la ruse blachoise en quelques endroits ; mais, malgré cela, chacun dira toujours que c’est un ouvrage excellent.

Quand je dis excellent, c’est-à-dire une œuvre peu honnête, encore moins réfléchie, d’un style sec et lourd, et qui, s’il ne satisfait pas les gens de loi, ne plaira pas davantage aux gens de goût. Mais qu’est-ce que le goût, messieurs, à le bien prendre ? un examen difficile, un jugement pur, exact et délicat des mêmes objets dont le commun des lecteurs jouit bonnement et sans réflexion. Mais quand la critique austère est partout substituée au plaisir innocent, l’honneur de ne se plaire à rien finit souvent par tenir lieu aux gens de goût du bonheur qu’ils avaient de se plaire à tout quand ils étaient moins difficiles. Faible dédommagement des jouissances qu’un trop rigoureux examen nous fait perdre ! Faisons donc quelque effort à trouver cet ouvrage excellent : ils ont eu tant de mal à le faire ! et cela est bien naturel, ils n’étaient que sept à le composer !

À l’instant où je finis ce mémoire, ce samedi au soir 18 juillet 1778, je reçois par huissier la signification in extremis, de l’aveu du comte de la Blache, que Me  Bidault avait confié mes lettres familières à Me  Caillard ; aveu qui complète enfin ma preuve que l’apposition du cachet sur le mot Beaumarchais, et tout ce que j’ai reproché, dans ma Réponse ingénue, à l’adversaire, est arrivé, comme je l’ai dit, pendant cette communication à l’amiable.

Voici ce que porte le certificat de feu Me  Caillard :

« Je soussigné, avocat au parlement, certifie que j’ai fait figurer sous mes yeux les copies du billet ci-dessus (c’est celui du 5 avril) et de la lettre écrite sur le recto de l’autre part, sur l’original qui m’a été communiqué par feu Me  Bidault, mon confrère, lors des plaidoiries de la cause entre le comte de la Blache et M. de Beaumarchais aux requêtes de l’hôtel, après que Me  Bidault, assisté de M. de Beaumarchais, eut fait valoir lesdits billets et lettres à l’appui de l’acte dont il demandait l’exécution. À Paris, le 16 mai 1775. Signé Caillard. »

Mais quel peut être le motif d’un pareil aveu du comte de la Blache, signifié par huissier, au dernier moment du procès, après avoir employé, dans la consultation des six, les pages 41, 42 et 43 à tourner péniblement autour de la difficulté, sans rien dire, au lieu de la résoudre brusquement par le certificat de Caillard ?

Quand j’ai levé la grande question du cachet apposé, dans ma Réponse ingénue ; quand j’ai dit que Me  Bidault avait communiqué les lettres à l’amiable à Me  Caillard pendant les plaidoiries des requêtes de l’hôtel, quoique je m’y fusse opposé dans le temps ; quand j’ai dit que ce fut moi-même qui les remis à Me  Caillard, alors j’ignorais ce que je viens d’apprendre, c’est-à-dire que Me  Caillard est convenu de ce fait, en certifiant par écrit les copies figurées des lettres. Donc je disais vrai, toujours vrai dans mon mémoire ; donc ce point est fort clair aujourd’hui.

Mais pourquoi cette signification ? J’en suis encore à chercher, à deviner… Pour de la bonne foi… Oh ! non, ce n’en est point ! après avoir tant répondu sans dire un seul mot de ce fait ! et puis nous connaissons la bonne foi du pèlerin. C’est donc autre chose.

Aurait-il appris par quelque ruse, autour de mon imprimeur, ce que j’ai dit plus haut de l’avis qui m’a été donné hier au soir, qu’on avait vu, sur les copies figurées de mes lettres qu’il montre, un certificat de Caillard, lequel pourrait bien prouver le fait avancé par moi dans ma Réponse ingénue (que Caillard avait eu les lettres et le titre en sa puissance pendant cinq jours) ?

A-t-il voulu prévenir la publicité de cette réplique, et prétend-il énerver, par son aveu si tardif de ce soir, tous les reproches que je ne cesse encore de lui faire, en y traitant de nouveau la matière à fond ?

Aurait-il voulu faire entendre aux magistrats, dans l’instruction du procès, que ces lettres n’ont été communiquées à Me  Caillard qu’après la scène de l’audience où j’ai dit que Junquière les avait confondus ?

Cela pourrait bien être ; et comme c’est ce qu’il y a de plus faux, de plus insidieux à dire, je me tiens à cette idée, comme la plus probablement adoptée par lui. Il faut donc la combattre, et ba-