Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/589

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Un incendiaire reconnu ! son dénonciateur mis en prison, au lieu de lui ! j’en ai conclu que, sur ces faits, vous êtes plus savants que moi.

Puis, quand le désespoir changea ce peuple si soumis en conquérant de la Bastille, quand il crut devoir s’assurer des gens suspects à la patrie, mes incendiaires et tous leurs commettants ne manquèrent pas de crier dans les places publiques que non-seulement j’avais des blés cachés, mais plus de douze mille fusils que j’avais engagés au prévôt des marchands, Flesselles ; que des souterrains, de chez moi, communiquaient à la Bastille, par où des soldats ennemis s’y introduisaient en secret ; que j’étais un agent des grands ennemis de l’État ; et qu’il fallait me massacrer, piller et brûler mes maisons. La lâcheté ne peut aller plus loin !

Tous mes amis épouvantés me suppliaient de m’éloigner. Mais moi, dont la religion est que dans les grands troubles un citoyen zélé doit rester à sa place, se rendre utile et faire son devoir (car où en serions-nous, bon Dieu ! si tout le monde s’enfuyait ?), j’ai osé braver le péril, j’ai monté la garde la nuit, et suivi dans le jour tous les travaux de mon district.

Pendant ce temps je suppliais et la Ville et tous les bureaux qu’on visitât mes possessions ; et qu’on apprît au moins au peuple qu’il était abusé sur moi par d’exécrables scélérats.

Après bien des soins et du temps, j’ai obtenu péniblement qu’une de ces visites se fît dans ma maison, Vieille rue du Temple ; six commissaires ont constaté la fausseté des bruits qu’on avait répandus.

Mais le district des Blancs-Manteaux, dans lequel j’occupais cette maison de location, m’ayant refusé durement de visiter mes vraies propriétés, parce qu’elles étaient, dit-il, dans le faubourg Saint-Antoine, j’ai couru m’agréger au district de mes possessions. J’y ai posé mon domicile, espérant bien en obtenir cette visite refusée.

Une grande rumeur, l’inquiétude d’une révolte occasionnée par la misère, y agitaient tous les esprits. En m’agréant avec honneur, l’assemblée me peignit l’état du faubourg, si pressant, surtout si dangereux pour la tranquillité publique, que, sans trop consulter mes embarras actuels, l’âme suffoquée de douleur, je contribuai d’une somme de douze mille livres au soulagement de ce peuple.

J’avais payé aux Blancs-Manteaux ma demi-capitation pour le soutien de nos soldats ; je donnai, quatre jours après, la même somme à mon nouveau district pour le même service militaire ; mais je refusai de m’asseoir au comité qui m’avait adopté, jusqu’à ce qu’on eût fait une visite sévère de mes différentes maisons. Il ne convient pas, écrivis-je, qu’un homme suspecté de trahison d’État s’asseye avec les citoyens, tant qu’il n’est pas justifié ; ce que les visites seules de mes possessions peuvent faire.

Dix jours se sont passés avant que je les pusse obtenir, et pendant ces dix jours je n’ai point paru au district. On peut juger, à ces détails, si j’y mettais de l’ambition.

Enfin, la Ville avant ordonné, à ma pressante réquisition, que douze commissaires se transporteraient chez moi, les visites furent effectuées.

Je remis alors un mémoire à votre assemblée même, pour obtenir que les procès-verbaux qui faisaient ma tranquillité fussent imprimés et placardés. La multitude des affaires a laissé douze jours cette demande sans réponse. Je courais le plus grand danger sous cette suspicion du peuple.

Pendant ce temps je travaillais au comité de Sainte-Marguerite, où j’ai donné différents plans de bienfaisance, agréés, j’ose dire, avec acclamation ; où, pour tourner tous les esprits du peuple sur des objets moins affligeants, ma motion pour le mariage d’un jeune homme du faubourg, tous les ans, le 14 juillet, anniversaire de la Bastille, a été appuyée par moi d’une somme de 1,200 liv.

Bientôt l’assemblée du district a procédé à la nomination d’un troisième député, son représentant à la vôtre. Je n’en avais aucun avis ; le hasard seul m’y fit trouver, croyant n’aller qu’au comité. J’y fus nommé député du district, à la très-grande majorité. Je voulus en vain m’en défendre ; on me força de l’accepter.

Je crois bien, en effet, que dans ce quartier de douleur, où l’administration doit être si compatissante et si douce, j’eusse été plus utile en travaillant au comité qu’en représentant le district à l’assemblée de la commune, où l’homme le plus sage est, selon moi, celui qui écoute, et qui parle le moins. Car un des grands inconvénients de toute nombreuse assemblée est l’éternité des débats sur les points les moins contestables.

Je n’avais pas, après huit jours, obtenu, moi représentant, cette permission d’imprimer les procès-verbaux des visites qu’on avait faites dans mes maisons. Les bruits infâmes continuaient : ma personne et mes possessions étaient dans le même péril, lorsque six députés des Blancs-Manteaux sont venus me dénoncer à l’assemblée de la commune, comme un fuyard de leur district qu’ils avaient droit de réclamer. Ils ont soutenu que les mécontentements qui m’avaient engagé à me présenter au faubourg n’étaient que des cris de cabale que j’aurais bien dû mépriser ; que, mon chef-lieu étant dans leur district, ils demandaient que j’y fusse renvoyé, et que celui de Sainte-Marguerite nommât un autre député.

Quelque obligeant que fût pour moi le plaidoyer des Blancs-Manteaux, je défendis mon nouveau domicile, en assurant que le bien seul que j’espérais faire au faubourg avait déterminé mon choix.

Après un débat de deux heures, les députés et moi rentrés, on m’apprit que j’appartenais au dis-