Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/598

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mes services n’allaient pas chercher les Français malheureux dans tous les coins de l’Amérique.

Demandez-lui si mon agent ne sut pas l’avertir lui-même, de ma part, que les usuriers du pays lui vendaient l’or à cent pour un, ce dont sa très-grande jeunesse l’empêchait de s’apercevoir ; s’il ne lui fit pas toucher du doigt la dilapidation de sa fortune entière, malgré la dépense modeste à laquelle il se réduisait ; s’il ne lui offrit point en mon nom, suivant les ordres qu’il en avait de moi, de lui fournir l’argent dont il aurait besoin, qu’il me ferait rendre en Europe au seul intérêt de la loi. Rendez justice à mon bon cœur, noble marquis de la Fayette ! Votre glorieuse jeunesse n’eût-elle pas ruinée, sans les sages avis et les avances de mon argent ? Vous m’avez bien rendu l’argent qu’on vous a prêté par mon ordre ; et, je le dis à votre gloire, en me remerciant à Paris en achevant de me rembourser, vous avez voulu que je retinsse cinquante louis de plus qu’il ne m’était dû par vous, pour joindre cet argent aux charités que je us pauvres mères qui nourrissent, poui i à ma bonni œuvre, dont plusieurs établissements m’ont coûté déjà vingt mille francs. Certes, je ne les regrette point ; mais je veux dire du bien de moi, puisque l’on me force à en dire. Rendez-moi justice aujourd’hui, vous, noble général dont j’ai prédit les hautes destinées, lorsque, Versailles pour essuyer de vifs reproches sur votre fuite en Amérique, à laquelle pourtant je n’avais pas contribué, je dis à M. de Maurepas ce mot sur vous, qui est resté : •. Cette étourderie-là, monsieur, est le premier feuillet de la « vie d un grand homme. »

Ce ministre me dit, quelques semaines après, qu’on vous avait fait arrêter près de la Corogne, lie, et que vous aviez feint de revenir en France ; mais que, trompant le garde-conducteur, vous aviez rejoint le vaisseau où vous attendaient vos amis : et ma réponse fut celle-ci : Bon ! voilà le h II,. !!

Vous avez fait depuis, mon général, de ces feuillets un fort beau livre ; mais, d’après ce que vous savez de moi, croyez-vous un seul mot de ce ■ ]n brigands impriment ? Pardon, mon général, j’ai invoqué, dans d’autres temps, le témoiispectable du comte d’Estaing, votre ami. otre tour aujourd’huiyje puis faire de ma pa fort belle liste aussi de tous les gens de bien que j’ai droit d’invoquer. Et vous, baron h ~l,i/ , Bit nousky ; vous, Tron-

çon, Pnidhomme, et cent autres qui m’avez du la gloire que vous acquîtes en Amérique, sans vous être jamais acquittés i avers moi, sortez de la tombe, ’ i parlez : ou vos lettres et vos effets, que j’ai, s’exprimeront en votre place. Quinze cent mille livres au moins de services rendus n mplissenl chez moi un portefeuille qui jamais peut-être acquitte par personne ; et [dus de mille infortunés, dont j’ai prévenu les besoins, sont tous prêts à lever leur voix pour attester ma bienfaisance. Entre mille, un - ul suffira. Parlez, vous, Joseph Pereyra, m de Bordeaux, qui m’écrivîtes, en frémissant, du fond des cachots de l’inquisition, près di où votre état connu de juif vous avait fait jeter, et vous exposait à être brûlé vif ! Vous vou vîntes de mon nom, et trouvâtes moyen de me faire tenir une lettre. Mes cheveux, en la recevant, se hérissèrent sur ma tôt.’. Je courus à Versailles, où, pleurant à genoux devant M. le comte de Vergennes, je le tourmentai tant, que j’obtins qu’on vous redemandât, comme appartenant à la France ; et je vous arrachai au feu, en vous faisant passer tout | argent pour votre voyage. Non- êtes un des hommes que j’ai trouvés les plus reconnaissants ; toute votre nombreuse famille m’a écrit pour me rendre grâce. Cette aventure mérite bien que je la cite en mon honneur.

M’accuser, moi, de sordide avarice ! Je veux prendre encore à témoin de ma froide résignation les vingt-quatre commissaires du district des Blancs-Manteaux, qui me faisaient l’honneur de travailler chez moi à la collecte de la capitation, le jour que l’on prit la Bastille. L’n homme effaré entre, et dit : <• Monsieur de Beaumarchais, deux mille hommes sont dans votre jardin ; ils vont « mettre tout au pillage. ■ Chacun, très-effrayé, .-e lève : et moi je réponds froidement : ci Nous ne i. pouvons rien à cela, messieurs ; c’est un mal .< pour moi seul ; occupons-nous du bien public ; » et je les invitai de se remettre en place. Ils sont loin d’être mes amis ; c’est leur témoigi j’invoque, et je profiterai de ceci pour rendre grâce à ce district. Quelqu’un ayant couru y dire qu’on allait piller ma maison, quatre cents personnes généreuses en partirent, pour défendre ma possession attaquée ; mais le mal était apaisé quand ces messieurs arrivèrent. Voilà comment mon avarice et mon ingratitude se montrent en toute occasion.

Le tiers de ma fortune est dans les mains de tous mes débiteurs ; et depuis que j’ai secouru les pauvres de Sainte-Marguerite, quatre «eut- lettres au moins sont là sur mon bureau, d’infortunés levant les mains vers moi. Mon cœur est déchiré, car je ne puis répondre ;i ton-. Pendant que les brigands de la forêl de Bondy, entrés par le district de- Récollets dans cette ville, me poursuivent and bruit, les malheureux de l’intérieur me crient : il-, mm, bienfaisant, jetez sur nous un regard de pitit .’ C’en esl trop, je n’j puis tenir, et j’offre ici de taire la preuve que tel qui dit du mal de moi n’est qu’un malheureux salarié’ par tel monstre qui m’a les plus grandes obligations : on c’est ee monstre-là lui-même, ou des gens - ntraînés qui ne m’ont jamais vu ni parle. Cette rage est poussée aujourd’hui jusqu’à la démence.