Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/733

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avec le zèle ardent que j’ai voué aux progrés de l’art dramatique , aux intérêts pressants des hommes de lettres qui l’exercent. Vous me pardonnerez, messieurs, si les termes un peu durs vous frappent dans le cours de cette pétition : ils sont désagréables ; mais, sur l’action dont nous nous plaignons tous, je n’en connais point de plus doux, malheureusement pour la cause et pour nos ardents adversaires.

Une première observation a frappé tout le monde. Il est, dit-un, bien étrange qu’il ait fallu une loi expresse pour attester à toute la France que la propriété d’un auteur dramatique lui appartient ; que nul n’a droit de s’en emparer. Ce principe, tiré des premiers droits de l’homme, allait tellement sans le dire pour toutes propriétés des hommes acquises par le travail, le don. la vente, ou bien l’hérédité, qu’on aurait cru très-dérisoire d’être, obligé de l’établir en loi. Ma propriété seule, comme auteur dramatique, plus sacrée : que toutes les autres, car elle ne me vient de personne, et n’est point sujette a conteste pour dol, ou fraude, ou séduction, l’œuvre sortie de mon cerveau, comme Minerve tout armée de celui du maître des dieux ; ma propriété seule a eu besoin qu’une loi prononçât qu’elle est à moi, m’en assurât la possession. Mais ceux qui observent ainsi n’ont pas saisi le texte de la loi.

Bien est-il vrai qu’on n’osait pas me dire : L’ouvrage sorti de vous n’est pas de vous. Mais les directeurs de spectacles ont posé cet autre principe : Auteur dramatique, ont-ils dit, l’ouvrage qui est sorti de vous est de vous, mais n’est pas à vous. Vous n’en obtiendrez aucun fruit : il est à nous ; car nous sommes, depuis cent ans, par longue suite des abus d’un régime déprédateur et votre faiblesse avérée, en possession de nous enrichir avec lui, sans vous faire la moindre part du produit que nous en tirons.

La loi, pour réprimer ce scandale de fout un siècle, n’a point dit dans ses deux décrets : L’œuvre d’un auteur est à lui ; ces décrets eussent été oiseux : mais elle, a dit formellement qu’attendu les abus passés, les usurpations continuelles établies en droits oppresseurs, aucun ne pourra désormais envahir la propriété des auteurs sans encourir tel blâme ou telle peine. Alors, commençant à l’entendre, les directeurs detroupes ont cherché, non à nier la justesse de cette, loi, mais à l’éluder s’ils pouvaient, â échapper a sa justice par tous les moyens d’Escobar.

Le premier dont ces directeurs aient penséqu’ils pouvaient user a été simplement de mépriser la loi, de continuer à jouer nos pièces comme si le législateur n’avait point prononcé contre eux : car, ont-ils dit, i ! se passera bien du temps avant que l’ordre rétabli ait armé contre nous la force réprimante ; ce que nous aurons pris le sera, et nous restera : beaucoup de nous n’existeront plus en qualité de directeurs ; et quel moyen de revenir contre un directeur insolvable ? Or, pour ce temps-là tout au moins, la loi sera nulle pour nous. Ils avaient fort bien raisonné, non pas en loi, mais en abus ; car, depuis les décrets qui défi mleiii à tous directeurs de continuer à usurper la propriété ia auteurs, leurs ouvrages ont été joués avec la même audace dans toutes les villes des départements de l’empire, excepte dans la capitale, sans leur permission, malgré eux, comme s’il n’y avait point de loi, sans qu’aucun des humilies de lettres ait pu obtenir de justice des tribunaux des villes où sont établis ces spectacles, qu’ils ont vainement invoqués. L’un nous refuse l’audience, l’autre nous répond froidement : Quoiqu'il y ait une loi formelle, les auteurs sont aisés ; ils peuvent bien attendre que notre directeur ait tenté un nouvel effort pour faire changer cette loi : comme si ce changement, même en supposant qu’il dût se faire, pouvait sauver un directeur de troupe de l’obligation de payer à l’auteur ce qui lui appartient de droit, pendant tout le temps écoulé entre deux lois qui s’excluraient ! Et si le directeur a fait banqueroute pendant ce temps, qui me payera, juge partial, le déficit causé dans ma fortune par votre négligence ou votre déni de justice ? Voilà, messieurs, quel est l’état des choses.

Mais à la fin, ce brigandage excitant un cri général, les directeurs despotes ont cru qu’il était nécessaire de se coaliser avec les comédiens esclaves, pour faire une masse imposante de dix mille réclamateurs contre trente auteurs isolés.

Cette coalition formée, les directeurs de troupes ont tous payé leur contingent pour les frais de députation, de sollicitation, de mémoires, de chicane et même d’injures. Un rédacteur bien insultant s’est chargé de tout le travail. Insulte à part, voici ce qu’il a dit pour eux :

1o Les auteurs ont formé une corporation illégale pour faire exécuter la loi qui prononçait en leur faveur : donc la demande de chacun, et la réclamation sur sa propriété constamment envahie, ne mérite aucune réponse, aucun égard de notre part.

2o Les auteurs ont vendu leurs ouvrages à des libraires, à des graveurs : donc nous, qui avons acheté un des exemplaires imprimés la forte somme de vingt-quatre sous, ou un exemplaire gravé la somme exorbitante de dix-huit livres tournois, nous sommes bien devenus les propriétaires de ces œuvres, pour nous enrichir avec elles, et sans rien payer aux auteurs, malgré la loi qui dit expressément qu’on ne pourra jouer la pièce d’un auteur vivant sans sa permission formelle et par écrit, soit qu’elle ait été imprimée ou gravée, sous peine, etc. Tel est le sens bien net de l’argument des directeurs.

3o Ils ne rougissent pas d’ajouter que la permission donnée autrefois aux auteurs par le gouvernement, d’imprimer et représenter, allouait évidem-