Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/734

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ment, à celui qui achetait vingt-quatre sous cette pièce imprimée, le droit de la représenter sans rien rendre au propriétaire. Quoiqu’on ne puisse articuler de pareilles absurdités qu’en profond désespoir de cause, je ne laisserai pas celle-ci sans réponse : non pour éclairer l’assemblée, je ne lui fais pas cette injure, mais pour faire honte aux adversaires de se servir de tels moyens.

4o Nous étions dans l’usage constant, disent encore ces directeurs, de jouer les pièces des auteurs vivants sans leur rendre la moindre part du produit que nous en tirons ; aucun d’eux n’a jamais réclamé contre ce qu’ils nomment un abus : donc chacun d’eux a reconnu que notre droit était incontestable, de ne rien payer aux auteurs dans toutes les villes de province en y représentant leurs pièces, quoiqu’aucun théâtre de la capitale ne pût et n’osât les jouer sans leur payer le prix convenu, soit qu’elles fussent imprimées ou non, et sous un régime qui protégeait toujours les comédiens contre les gens de lettres. Mais vous verrez bientôt, messieurs, si nous n’avons pas réclamé.

5o Enfin nous serions tous ruinés, disent encore les directeurs, nous marchands du débit des pièces dramatiques, si l’on nous obligeait à en payer les fournisseurs ; de même que tous débitants d’étoffes, en boutique et en magasin, se verraient ruinés comme nous, si, par le même hasard, une loi bien injuste les obligeait tous de payer les fabricants de Lyon, d’Amiens ou de Péronne, qui leur ont fourni ces étoffes. On sent combien cela serait criant ! Heureusement pour eux, aucune loi ne les y soumet, et nous présumons bien qu’ils ne les payent point. Notre droit est semblable au leur ; car si ces marchands louent des magasins pour vendre, nous, nous payons des salles pour jouer. S’ils salarient des garçons de boutique et des teneurs de livres, nous gageons des acteurs et des ouvreurs de loges. S’ils payent leur luminaire, leur chauffage, leurs voyageurs, leurs porte-faix, les impositions de leur ville, et tous autres frais de commerce, nous sommes soumis comme eux. Donc, en vertu de tant de dépenses forcées, comme il serait par trop inique qu’une loi obligeât tous ces vendeurs d’étoffes de les payer aux fabricants, de même on ne saurait, sans la plus grande iniquité, nous obliger de payer les auteurs dont nous récitons les ouvrages, et quoique nous vendions tous les jours le débit de ces pièces au public, qui vient les voir dans notre salle en nous payant argent compté ; car nous sommes les seuls revendeurs qui ne fassions point de crédit : ce qui rend notre cause plus favorable encore que celle des marchands d’étoffes, à qui l’on emporte souvent le prix d’une vente imprudente. Telle est la conséquence juste de l’argument des directeurs.

Un des auteurs, ajoutent ces messieurs, en traitant l’affaire en finance, quoiqu’il soit le plus riche de tous, a dégradé la littérature dramatique par cette avarice sordide d’exiger de nous quelque argent pour un noble travail qui ne doit rendre que de la gloire, et souvent n’en mérite pas.

Cet auteur prétendu financier, c’est moi, qu’un amour vrai pour la littérature attache à cette grande affaire. Malgré les injures grossières dont ces messieurs m’ont accablé, je jure à mes confrères que je n’abandonnerai point les intérêts qu’ils m’ont confiés : cette démarche en est la preuve, et cette pétition contient mes vrais motifs.

Tels sont en substance, messieurs, les arguments des directeurs contre les auteurs dramatiques, leurs nourriciers dans tous les temps.

Je vais les réfuter, en suivant le même ordre dans lequel ils sont rappelés, et me citant seul en exemple, pour tuer d’un seul mot l’idée d’une corporation.

Les auteurs, vous dit-on, messieurs, ont formé une corporation illégale pour soutenir ensemble une loi très-injuste, etc., etc.

Ma réponse est nette et fort simple. Je suis un auteur dramatique : je me présente seul à l’Assemblée nationale, pour empêcher que l’on continue à me faire un tort habituel qui n’a duré que trop longtemps. Par cela seul que je suis seul sur la cause qui m’intéresse, et que je défends devant vous, on ne peut m’objecter, messieurs, cette fin de non-recevoir, qu’on prétend faire résulter d’une forme très-illégale, s’il était vrai qu’il y en eût une dans la demande des auteurs sous le nom de corporation. Chaque auteur usera, s’il veut, des moyens que j’emploie ici pour repousser, pulvériser une attaque aussi misérable. Tous ceux dont je vais me servir auront un avantage égal pour l’intérêt blessé des littérateurs dramatiques. Il n’y a point de corporation à user de la même défense pour repousser la même attaque sur des intérêts tout pareils.

Les auteurs, vous dit-on encore, ont tous vendu leurs pièces à des libraires ou des graveurs : donc leur propriété, transmise à nous par ces derniers, pour vingt-quatre sous les pièces imprimées et dix-huit francs celles gravées, nous appartient sans nul conteste, etc., etc. Sur cette vente générale, je rappellerai en deux mots ce qu’imprime l’un des auteurs.

Comment ! dit M. Dubuisson dans son excellente réponse aux directeurs, un libraire ou bien un graveur aurait-il le droit de vous vendre ce qu’il ne m’a point acheté ? Vend-il le droit de contrefaire mon livre à ceux qui l’achètent pour le lire ? Il serait ruiné ; moi aussi. Jamais théâtre de Paris ne s’est cru en droit de jouer la pièce imprimée d’un auteur, s’il n’a acheté ce droit du propriétaire de la pièce, quoique les comédiens l’aient souvent chez eux imprimée, car ils l’ont achetée comme vous. Voulez-vous exercer un droit qu’on n’a point dans la capitale ? Eh ! qui donc vous l’aurait donné ? Nous prétendez avoir acquis celui