Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/735

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de gagner mille louis et plus avec une pièce qui vous a coûté vingt-quatre sous, et souvent moitié moins, grâce au vol des contrefacteurs, aussi grands logiciens que vous sur le droit de piller les auteurs ! C’est en vérité se moquer des auditeurs qui vous écoutent !

Mais enfin, laissant chaque auteur défendre un droit incontestable, je vais répondre pour moi seul. Je n’ai jamais vendu à aucun libraire ni graveur le Mariage de Figaro, dont je réclame ici la propriété usurpée. Il a été imprimé à mes frais, ou dans mon atelier de Kehl. Tout misérable qu’est l’argument, vous ne pouvez pas m’objecter la transmission par un libraire. Mais un fait positif vaut mieux que tous les raisonnements ; j’en vais citer un sans réplique.

Lassé de voir le brigandage dont les malheureux gens de lettres étaient constamment les victimes, je voulus essayer d’y remédier autant qu’il pouvait être en moi. Nommé depuis longtemps par tous les auteurs dramatiques un de leurs commissaires et représentants perpétuels, j’avais eu le bonheur, en stipulant leurs intérêts, de faire réformer quelques abus dans leurs relations continuelles avec le Théâtre-Français ; je voulus profiter du succès d’un de mes ouvrages, qu’on désirait jouer en province, pour travailler à la réforme du plus grand de tous les abus, celui de représenter les ouvrages sans rien payer à leurs auteurs. Je répondis aux demandeurs du Mariage de Figaro que je ne le ferais imprimer, et n’en permettrais la représentation en province, que quand les directeurs des troupes se seraient soumis par un acte à payer, non pas à moi seul, mais à tous les auteurs vivants, la même rétribution dont ils jouissaient dans la capitale.

Que firent alors ces directeurs ? Ils firent écrire ma pauvre pièce pendant qu’on la représentait, la firent imprimer sur-le-champ, chargée de toutes les bêtises, de toutes les ordures et incorrections que leurs très-maladroits copistes y avaient partout insérées, puis la jouèrent ainsi défigurée sur les théâtres des provinces : et ma pièce, déshonorée, volée, imprimée, jouée sans ma permission, ou plutôt malgré moi, devint, par cette turpitude, l’honnête propriété des adversaires que je combats. Je m’en plaignis à nos ministres, seuls juges alors dans ces matières. Je n’en obtins point de justice, car je n’étais qu’homme de lettres ; ma demande n’eut aucune faveur, car je n’étais point comédienne. En vain me serais-je adressé aux tribunaux d’alors, même aux cours souveraines : toutes les fois que le cas arrivait, les comédiennes sollicitaient ; la cour sollicitée évoquait l’affaire au conseil, où elle n’était jamais jugée. Et mon récit, accompagné d’un de ces scandaleux exemplaires que je dépose sur le bureau, est ma réponse au défaut de réclamation que les directeurs nous opposent. La suite va la renforcer.

Obligé de chercher à me faire justice moi-même ; et la pièce, mal imprimée par ceux qui l’avaient mal volée, étant aussi beaucoup trop bête, ce que je fis dire partout en désavouant cette horreur, quelques directeurs de province vinrent me demander de jouer mon véritable ouvrage : je leur montrai mes conditions. Ceux de Marseille, de Versailles, de Rouen, d’Orléans, etc., les acceptèrent sans balancer, en passèrent, acte notarié, dont je joins une expédition[1].

  1. J’en vais copier le préambule, ainsi que plusieurs des articles. Il est assez curieux de voir comment je m’expliquais sur les propriétés d’auteurs, et comment je forçais les directeurs à les reconnaître, sept ans avant que la constitution eût fait une loi formelle d’un droit incontestable, et que ces messieurs prétendent n’avoir jamais existé.

    « Par-devant les conseillers du roi, notaires au Châtelet de Paris, soussignés :

    Furent présents Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, écuyer, demeurant à Paris, Vieille rue du Temple, paroisse Saint-Paul, au nom et comme l’un des commissaires et représentants perpétuels des auteurs du Théâtre-Français, autorisé à l’effet des présentes par délibération et consentement unanime de ses confrères assemblés, d’une part ;

    Et le sieur André Beaussier, négociant à Marseille, y demeurant ordinairement, rue Longue-des-Capucines, étant de présent en cette ville de Paris, logé à l’hôtel des Milords, rue du Mail, paroisse Saint-Eustache, tant en son nom comme principal actionnaire et l’un des chefs-administrateurs du spectacle de Marseille, SENTANT ICI TOUT LE COUPS m, L’ADMINISTRATION, QU’IL ENOAGE avec lu 1, d’autre part ;

    Lesquels ont dit et reconnu qu’il est rigoureusement juste que les directeurs îles troupes de province, dont la fortune est fond o sur le som, 1e rappeler le public à leur spectacle par l’attrait des nouveautés soi lies de la capitale, en partagent le produit avec les une proportion équitable, ainsi qu’il est reconnu juste I Paris que les auteurs prennent part a la recette de leurs ouvrages sur le théâtre primitif. La pue,., r nil 1 n le lettres étant une propriété honorable,’imilée au produit d’une terre II lui, tous les. diciis qui la jouent s, , ut. à son égard, 1 le négociant des villes, qui ne vend au public les fruits de la culture oui, pies les avoir achetés des plus noide. propi iciaires, lesquels ne rougissent point d’en recevoir le prix ; et de même que te gain de 1 négociants sur les denrées sérail, 01, , |.il, eliereliaieut a s’en emparer sans n, mdre auj cultivateurs, il serait injuste que les directions de provinces s’enrichissent avec les pièces des auteurs vivants, sans leur offrir une juste part du profit avoue qu’ils en tirent.

    Ces principes reconnus par les parties ès-dits noms, et posés comme base du présent acte, elles sont convenues et ont arrêté ce qui suit :

    « Art. Ier, Que tout auteur dramatique dont la pièce nouvelle, jouée a Taris, sera demandée parles directeurs ou actionnaires du spectacle de Marseille, enverra son manuscrit, avec les rôles copiés, aux directeurs, si la pièce n’est pas imprimée lors de la demande ; ou, si elle est imprimée, un des premiers exemplaires de l’ouvrage, afin que ers actionnaires ou directeurs fassent jouir au plus tôt le public de leur ville du spectacle nouveau dont la capitale s’amuse.

    II. Que les directeurs ou actionnaires du théâtre de Marseille se rendent garants envers l’auteur, et sous tous les dommages de droit.de la non-impression dudit manuscrit, cl de la préservation fidèle de toute entreprise a cet égard.

    III. Que les directeurs ou actionnaires dudit théâtre se soumettent à payer à l’auteur, ou à son fondé de pouvoirs à Marseille, le septième net de la recette brute qui se fera à la porte du spectacle toutes les fois qu’on jouera sa pièce ; ou la recette brute entière d’une représentation sur sept, au choix de l’auteur : sur quoi d aura s. m, 1e s’expliquer lorsqu’on devra jouer sa pièce. Et, dans le cas de son choix d’une représentation sur sept, les actionnaires et directeurs s’engagent a mettre ce jour-là sur l’affiche : Que cette représentation est entièrement consacrée A remplir les droits de l’auteur ; n’exceptant de ce qu’on nomme ici recette brute que les seuls abonnements à l’année, lesquels, après un unir examen de leur état actuel, et pour éviter de plus longs calculs, nous paraissent