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LE SECRET DE L’ORPHELINE

Déjà, l’excellente femme regrettait son ostracisme et, repentante :

— Vous savez bien, fit-elle, que je ne parlais pas sérieusement. Je comprends que les jeunes n’aient pas tout leur temps à eux comme les vieux. Mais je n’imagine tout de même pas pourquoi vous avez laissé une si bonne place…

Georgine approchait de la fenêtre son fauteuil ; s’y étant glissée, elle comprit qu’elle occupait le poste idéal pour surveiller la rue. À cette pensée, son cœur battit très vite et l’angoisse remonta à son cerveau. Mais le rôle à tenir auprès de sa marraine la distrayait forcément de ses préoccupations.

Ses fossettes se creusèrent gaiement.

— C’est, commença-t-elle, mon patron qui m’a insultée.

— Insultée ?… répéta avec effarement Mme  Favreau.

— Oui, assura Georgine. Imaginez-vous qu’un soir, comme j’allais partir, il me dit : — « Restez donc. Mlle  Favreau, j’ai besoin de vous. » Moi, employée modèle, je reviens aussitôt à ma place. Alors, il se croise les bras et il me demande : « Voulez-vous devenir ma femme ? Je vous laisserai pratiquer votre religion. J’ai tant d’argent, telles opinions, telles habitudes… » Sur le même ton, je lui ai répondu : « Voulez-vous bien me laisser tranquille ? Si je ne veux pas, moi, épouser un anglais… »

C’était bien la Georgine d’avant qui parlait, celle dont on avait raffolé, au journal. Pendant ce petit conte qu’elle avait débité de sa voix gouailleuse de gavroche, sa mimique avait été irrésistible.

Mme  Favreau qui n’avait pu se retenir de sourire protesta cependant :

— Vous ne me ferez pas croire que vous lui avez répondu de cette façon ?

— À peu de chose près, marraine. Mais j’avais d’abord obtenu quelques jours pour réfléchir et vous vous imaginez bien que, durant ce temps, je m’étais cherché une autre position. Je me souciais assez peu de passer ma vie sous la tutelle de ce mari manqué.

Tout en bavardant, Georgine surveillait avec soin la rue. Celui qu’elle redoutait de voir apparaître ne s’était pas encore montré et elle patientait anxieusement.

Il faisait presque froid dans cette pièce éloignée du foyer ; aussi, Mme  Favreau ayant offert à sa visiteuse de lui préparer une tasse de chocolat, celle-ci accepta avec empressement et en protestant de sa gratitude. Elle eût adhéré à n’importe quelle proposition ne tendant pas à s’éloigner de cette fenêtre d’où elle allait voir s’écrire le dernier mot de son destin.

Ce fut précisément durant cette absence de Mme  Favreau que Jacques passa. Georgine le reconnut avec un épouvantable serrement de cœur et elle se dit qu’elle n’avait plus rien à faire dans cette maison.

Toutefois, tant pour ne pas se singulariser que parce que les instances de sa marraine la touchèrent, elle prolongea sa visite de près de deux heures encore. La pauvre enfant se sentait brisée, lasse à mourir et si Mme  Favreau avait su par quel miracle d’énergie elle parvenait à maintenir le joyeux entrain de sa verve, nul doute qu’elle ne lui eût conseillé elle-même de se retirer au plus tôt.

Au lieu de cela, lorsque Georgine annonça son départ, la vieille femme se désola. Elle avait, du premier coup, sympathisé avec cette grande fille en qui revivait son passé et, dans les circonstances présentes, elle eût consenti n’importe quel sacrifice pour la décider à venir cohabiter avec elle. C’était là son idée fixe qu’elle se retenait d’exprimer par pure discrétion.

— Puisque vous ne voulez pas rester à coucher, lui dit-elle, je vais toujours vous reconduire à la station.

Georgine accepta l’offre, passivement.

À l’endroit où elle était descendue, trois heures plus tôt, un grand nombre de personnes attendaient le tramway en frissonnant et en battant de la semelle. Rapide et se dandinant, le bon véhicule ne tarda pas trop à paraître. Mlle  Favreau fut l’une des premières à le prendre d’assaut. Auparavant, elle avait crié dans l’oreille de sa compagne :

— Bonsoir, marraine ! À bientôt.

Et puis, elle était allée s’échouer sur l’un des premiers bancs. Là, retirant tout au dedans d’elle sa pensée, elle s’absorba en de bien douloureuses réflexions.

Pendant ce temps, le tramway filait. Une jeune fille maquillée, à la pose hiératique, vint réclamer à Georgine une part de la banquette que celle-ci avait d’abord occupée seule. Et le tramway court toujours vers la ville.

Bien des regards effleurent Georgine qui n’est pas désagréable à voir et dont l’évi-