Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/14

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à son tour sur le banc de pierre, d’où il nous récitait son chef-d’œuvre, un hymne… à qui ?… à Victor Hugo !…

C’est ainsi qu’aux jours radieux de ma jeunesse, si lointains déjà et si proches, le bouddhisme hugolâtre avait, dans un vieil hôtel du Marais transformé en pensionnat carolingien, son collège de derviches tourneurs, hurleurs et mangeurs de feu. Le voisinage de la maison historique où le grand homme avait tenu, en 1830, son lit de justice romantique, localisait notre foi et lui donnait un temple. Quand, le dimanche, nous avions adoré au soleil couchant l’H majuscule et symbolique des tours de Notre-Dame et dûment constaté qu’il « embêtait l’Empire », nous nous retrouvions, place Royale, devant cette maison de Marion Delorme — alors occupée par l’une des quatre pensions du lycée, et devenue aujourd’hui, grâce à la piété de Paul Meurice, le musée de l’art du maître et de sa gloire — et nous y attendions l’heure de la rentrée au « bahut ». C’était là, derrière ces hautes fenêtres Louis-Treize, que sa voix avait parlé aux disciples de la première heure, les Théophile Gautier, les deux Alfred — Vigny et Musset — les deux Deschamps, Nodier, Méry, Gozlan, George Sand, tous ceux de l’initiation ! Il s’était accoudé sur les balustres de ce balcon pour contempler les étoiles semées comme des vers luisants dans le feuillage. Il s’était promené, pensif, sous les arcades dont les piliers lourds et bas, profilés par la lune, découpaient un cloître sur les dalles. Sans doute, fantôme vivant, il y « revenait » encore par la pensée, là-bas, de son belvédère sinaïque de Marine Terrace. Il était au milieu de nous comme le Christ ressuscité entre les