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mais jamais je ne l’ai vu vieillir. Tel il m’apparut alors dans la petite bibliothèque, 10, rue de la Chaussée-d’Antin, où il me reçut, tel je l’ai quitté, il y a deux ans à peine, pour ne plus le revoir, au seuil du théâtre de la Gaîté, allègre et dominateur, dévorant le temps et l’espace. Il y avait en lui une ardeur de vie, d’ailleurs contagieuse, qui laissait loin derrière l’activité américaine et qui, même là-bas, paraît-il, débordait le yankeesme même. Maurice Grau, son imprésario, me disait de lui à ce sujet :

— Il ne peut dormir qu’en chemin de fer parce que ça remue !

Et, de fait, il ne reposait guère autrement, n’accordant à la fatigue que dix minutes d’assoupissement sur le canapé de sa loge. Il ne me souvient pas de Coquelin assis, et, sous cette image, il m’échappe. Conséquemment, d’ailleurs, il n’aimait pas que l’on prît cette position siégeante dans les visites qu’on lui rendait, et non seulement il ne vous offrait point les « commodités de la conversation », mais encore les encombrait-il de papiers, manuscrits et vêtements soigneusement pliés qui les rendaient inaccessibles. « Les bons chevaux stationnent debout, riait-il, tu n’es donc pas un bon cheval ? »

Dans son cabinet de toilette, où, pour gagner du temps, il donnait audience matinale aux intimes sans interrompre ses ablutions, il y avait un atroce petit trépied où le moins fessu ne pouvait établir que la moitié du derrière, ce qui abrégeait d’autant les séances. Pour me venger des tours de reins que j’y prenais, j’en trouvai un jour une assez bonne.

— Tu sais, fis-je en entrant, le bruit qui court ?

— Non, quel bruit ?