Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/233

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— Mon cher collègue, dis-je, le chroniqueur qui, je l’espère, va être le vôtre, n’a pas besoin d’argent. Il se contentera donc des quinze louis convenus pour l’article et du traité qui les lui assure, mais il ne peut pas signer ses chroniques et c’est à prix d’anonymat qu’il vous les cède, sine qua non. — Ah ! Pourquoi ? — Je vous le répète, c’est un homme du monde et, je crois, un peu de la police… — De la po… ? — lice !

Les yeux du directeur pétillèrent. Je tombais à pieds joints dans son idéal du bon journaliste. — De la police… républicaine ? interrogea-t-il en redressant la tête. — Bien entendu, au Voltaire ! D’ailleurs il n’y en a pas d’autre pour le moment. — Et alors ? — Et alors vous ne chercherez pas à le connaître. Il sera pour vous l’homme masqué des pugilats de boxe et de savate. Vous viendrez chaque semaine me voir sous un prétexte à La Vie Moderne et je vous remettrai de la main à la main la copie du chroniqueur. — Et en cas de duel ? — N’en ayez cure, c’est aussi un spadassin. Mais les procès vous restent. — Je ne les crains pas, releva-t-il, au contraire.

Je lui remis donc le manuscrit non sans lui suggérer l’idée ingénieuse, l’homme du monde étant gêné par une dette de jeu, de lui solder, séance tenante, les trois cents balles du premier article et d’attester ainsi de quelque élégance. Du reste je lui offrais de lui en délivrer le reçu moi-même, ce qu’il refusa, d’un portefeuille outrecuidant et chargé d’effluves.

Deux jours, après, à la suite d’une annonce à crever les étoiles, la chronique mystérieuse paraissait en tête du Voltaire. Elle avait pour titre : « La République des vieux garçons », et j’aurais juré que son