Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/297

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l’homme de bronze les a chargés d’une férule de plomb et d’une responsabilité écrasante dont le double faix pèse sur leur honnêteté même. Un sociétaire-lecteur qui vient de refuser une pièce est plus lamentable à voir que le poète même à qui il la refuse, il s’enfuit, flagellé des Euménides, par les détours du théâtre. Il y en a qui, poursuivis par leur conscience, se jettent à corps perdu dans la lice de nos tournois et y exposent bravement leur jurisprudence, mais ils n’y atteignent, hélas ! qu’au succès qui ratifie publiquement leur incompétence naturelle, et ne les console pas du déni des dieux.

Edmond Got m’aimait assurément beaucoup et j’ai conté comment il avait présidé à mes débuts à cette même Comédie-Française, en 1865. Du reste nous sommes restés en rapports constants jusqu’à sa mort. Il prisait Le Nom, et bonne ou mauvaise, n’importe, il estimait la pièce au point de m’avoir reproché plus tard d’en avoir abîmé la première version, celle que j’avais lue au comité. Il fallait résister à La Rounat, me disait-il. On résiste, ou on reprend l’ouvrage. — Et quand je lui demandais pourquoi il s’était dérobé au travail de coupures qui m’eussent garanti la réception en seconde lecture, il haussait brusquement les épaules : « Je ne suis pas poète, je suis comédien, chacun sa tâche sous le soleil. »

Le Nom a dérouté Got jusqu’à ses derniers jours et, plus de vingt ans après, il me pressait de le reprendre à pied d’œuvre, tel qu’il était établi en 1881. Jamais il ne put comprendre pourquoi ses camarades du comité, et « lui-même », ajoutait-il en riant, m’avaient blackboulé de la sorte. — Ça devait être pour le plaisir ? — Erreur, rien de plus embê-