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Des deux seuls artistes qui m’aient été révélés, l’un est un armurier de Piedipartino, village de l’Orezza, et l’autre est un tourneur de cannes, à Corte.

L’armurier de Piedipartino est le dernier peut-être qui trempe, nielle, damasquine et orne le célèbre stylet corse du vieux jeu, celui qu’on ne trouve nulle part et qui n’a qu’un fil tranchant à sa lame. Les stylets d’aujourd’hui, pareils aux poignards catalans, coupent des deux côtés, ce qui est une hérésie, et ils n’ont d’ornements que sur la gaine. Ils tuent sans doute aussi bien, mais moins artistement que les autres, ce dont le bonhomme de l’Orezza est inconsolable.

Pour le tourneur de cannes, c’est un serrurier forgeron de la Place Paoli, à Corte, qui, le dimanche et pour son plaisir, s’amuse à travailler des bâtons. Il a surtout une spécialité où il est unique au monde, c’est la canne en cœur de chêne.

Il est assez malaisé de se procurer l’une de ces pièces d’art, quoiqu’elles ne coûtent point bien cher, d’abord parce que le serrurier n’en vend qu’à ceux dont le visage lui revient, et ensuite parce que les branches de chênes dont elles sont faites se rencontrent difficilement sur l’arbre ou assez courtes ou assez longues. Il les décortique en effet et les décharne jusqu’à ce qu’il arrive à la première pousse, la tige d’un an, et souvent lorsqu’il l’atteint, à travers les revêtements et les superpositions de chair ligneuse, il se heurte à des nœuds, à des inégalités invincibles et dont sa forge même ne vient point à bout. De là la rareté de ces cannes.

Mais qu’elles sont belles, solides et douces à la main, avec leur vernis d’ébène et leurs viroles de