Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cuivre et d’acier gravés d’arabesques : quelles cannes, ô pâle Verdier.

La mienne fut faite sur mesure : je veux dire que le tourneur prit la mesure de mon coude à la terre, afin qu’elle me restât à jamais propre et personnelle et fût ma canne !

Muni d’un tel chef-d’œuvre, on peut monter à la ville haute, où se dresse le seul monument intéressant de Corte, la maison de Paoli ; et j’y monte. Avant d’y parvenir, par une rue à larges escaliers dallés propices aux ânes et aux mulets, et non loin d’une jolie fontaine en pyramide où chante dans une vasque circulaire l’hymne cristallin des eaux limpides, je me fais indiquer le cercle cortésien.

Le cercle de Corte fait trembler les soixante-six pièves et les six diocèses de l’île.

La malice de ses membres est proverbiale ici, et elle perpétue, dit-on, les traditions sarcastiques de ce Minuto Grosso qui fut le bouffon de Paoli.

Je n’avais lu nulle part que Paoli eût un fou, comme François Ier et je l’ai appris à Corte pour la première fois.

Ce fou, pareil à tous les fous, et notamment à celui du fabuliste, vendait de la sagesse. Il en vendait à Paoli par mode de proverbes et de maximes, et tel le bon Sancho Pança à Don Quichotte.

Les proverbes, c’est le bon sens en dragées.

Minuto Grosso en était confiseur.

Il fit partie des conseils de la dictature, et au milieu des délibérations il jetait l’amande dans la mélasse, soit le petit mot pour rire. Minuto Grosso — en français le Fin Gros — est l’aïeul intellectuel et le patron que le cercle terrible de Corte revendique.