Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/272

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petit homme nerveux et robuste ; il n’y a pas de voleurs en Corse ! »

Et en deux enjambées il fut derrière la voiture. Nous entendîmes un dialogue bref, en dialecte corse, suivi de quelques coups de fouet claquants, puis une fuite de bête dans le maquis, et le voiturier revint en secouant la tête :

« Je vous l’avais bien dit, fit-il d’un ton de mépris indéfinissable, c’est un Lucquois ! »

Et il montra sa chambrière.

« Pas d’autre arme pour ces gens-là. Mais les Corses ne volent pas ! »

Et il remonta sur son siège. Une demi-heure après nous entrions dans Morosaglia. Il était neuf heures et demie du soir, et nous crevions de faim et de sommeil.

Morosaglia.

Morosaglia, qu’on appelle aussi Rostino, est quelque chose comme la Mecque de la Corse, car c’est là que son prophète, le père de la Patrie, Pascal Paoli, est né, en avril 1724.

Vaste village, composé de plusieurs hameaux semés sur les versants, cette commune s’épand de tous côtés dans un bois de châtaigniers, mais elle s’arrondit en somme autour de l’église centrale qui domine de sa tourelle carrée, et tel un berger appuyé sur sa houlette, les troupeaux épars de ses maisons grises.

Nous n’y fûmes point mal reçus, non ! nous n’y fûmes point reçus du tout. Car à neuf heures et demie Morosaglia est couchée. Ses habitants ont, paraît-il, vingt raisons pour une de ne pas ouvrir leurs portes après le coucher du soleil, et sur ces vingt raisons il y en a dix-neuf d’excellentes. J’ai pu juger, d’après