Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/273

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quelques récits assez romantiques, ouïs sur les lieux mêmes, que dans cette commune la bonne heure de la vendetta est l’heure nocturne. Quelqu’un frappe, vous tirez la barre, et vlan ! vous vous trouvez avoir deux balles dans la tête. De là vient que les Rostiniens sont couche-tôt.

Un épicier compatissant nous avait donné une lettre de présentation pour un sien parent, hôte habituel de tous les touristes de passage à Morosaglia. À minuit et demi nous étions encore sur la route, cette lettre à la main, ne sachant comment la faire tenir au destinataire, dont la maison hermétiquement close nous opposait le bloc invulnérable de son cube.

Heureusement que le clair de lune était magnifique, cette nuit-là ! Mais quelle faim, Seigneur, et quelle fatigue !

Après diverses tentatives infructueuses à divers marteaux de portes, nous allions nous résigner à dormir dans nos voitures mêmes, lorsque l’idée vint à l’un de nous de rendre visite à la gendarmerie et de nous faire délivrer par elle ce brevet d’honnêtes gens qu’on refusait de nous reconnaître, à cause de l’heure avancée.

La gendarmerie n’était pas chez elle. Nous la découvrîmes dans un gracieux cabaret, où nous lui offrîmes un petit verre. Je dois proclamer qu’elle le refusa, et qu’après inspection minutieuse de nos personnes innocentes et de nos allures éreintées, elle se chargea de nous introduire chez notre hôte.

Nous la suivîmes en la bénissant. Parvenus devant le cube rébarbatif, elle siffla d’une certaine manière, appela par trois fois l’hôte par son petit nom, et la porte béa, enfin.