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les soirées de l’orchestre.

Je me trouve à côté d’un alto ; celui-ci fait assez bonne contenance pendant la première heure. Après quelques minutes de la seconde, toutefois, son archet n’attaque plus que mollement les cordes, puis l’archet tombe… et je sens un poids inaccoutumé sur mon épaule gauche. C’est celui de la tête du martyr qui s’y repose sans s’en douter. Je m’approche, pour lui fournir un point d’appui plus solide et plus commode. Il s’endort profondément. Les pieux auditeurs, voisins de l’orchestre, jettent sur nous des regards indignés. Grand scandale !..... Je persiste à le prolonger en servant d’oreiller au dormeur. Les musiciens rient. « Nous allons sommeiller aussi, me dit Moran, si vous ne nous tenez éveillés de quelque façon. Voyons, un épisode de votre dernier voyage en Allemagne ! C’est un pays que nous aimons, bien que ce terrible oratorio vienne de là. Il doit vous y être arrivé plus d’une aventure originale. Parlez, parlez vite, les bras de Morphée s’ouvrent déjà pour nous recevoir. — Je suis chargé ce soir, à ce qu’il paraît, de tenir les uns endormis et les autres éveillés ? Je me dévouerai donc, s’il le faut, mais quand vous répéterez l’histoire que je m’en vais vous dire, histoire peut-être un peu décolletée par-ci par-là, ne dites pas de qui vous l’avez apprise ; cela achèverait de me perdre dans l’esprit des saintes personnes dont les yeux de hibou me fusillent en ce moment. — Soyez tranquille, répond Corsino, qui est sorti de prison, je dirai qu’elle est de moi. »



LE HARPISTE AMBULANT,


NOUVELLE DU PRÉSENT.


Pendant une de mes excursions en Autriche, au tiers de la distance à peu près qui sépare Vienne de Prague, le convoi dans lequel je me trouvais fut arrêté sans pouvoir aller plus avant. Une inondation avait emporté un viaduc : une immense étendue de la voie étant couverte d’eau, de terre et de gravois,