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vingt autres ; Quelques philosophes professent aussi cette doctrine. Dans un ouvrage d’ailleurs fort remarquable qu’il vient tout récemment de publier sur les Pensées de Pascal, M. Cousin dit que à est employé au lieu de pour dans les phrases suivantes : L’homme est à lui-même le plus prodigieux objet de la nature. Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même. Ce joug n’est léger qu’à lui et à sa force divine ; et il ajoute qu’il tient la place de par dans ces deux autres phrases : Se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs. Ne nous laissons pas abattre à la tristesse. Toutes ces phrases, notez-le bien, sont de Pascal ; eh bien ! ce grand nom n’empêche pas M. Cousin de venir nous dire que l’auteur des Provinciales n’a pas su faire un usage convenable du mot à. Nous sommes fâchés de voir M. Cousin adresser un pareil reproche à l’un de nos plus grands écrivains, à celui qui est regardé à juste titre comme le créateur du style français. Examinons donc avec une scrupuleuse attention les phrases en litige. L’homme est à lui-même le plus prodigieux objet de la nature. Certes, Pascal était libre de mettre pour ; mais il a probablement eu ses raisons en lui préférant à. Massillon a dit : Toute notre vie est une recherche éternelle de nous-mêmes ; on dirait que tout est fait pour nous, que tout le reste n’est rien que par rapport à nous. On dit aussi journellement : Un homme ne fait rien que par rapport à lui, que par rapport à ses intérêts. Il est facile d’après cela de retrouver les mots qu’il a plu à Pascal de supprimer. L’homme est à lui-même le plus prodigieux objet de la nature, est donc un abrègé de : L’homme est (par rapport) à lui-même le plus prodigieux objet de la nature. Sans doute qu’en disant : l’homme est à lui-même, l’homme est pour lui-même, l’homme est par rapport à lui-même, etc., etc., on exprime la même pensée ; mais ce sont là trois constructions différentes et qui n’ont rien de commun entre elles que le sens. Nous avons soumis ces phrases un juge bien compétent, au président de la Société Grammaticale de Paris ; son avis, est tout à fait conforme au nôtre. « Voici à cet égard, dit M, Palla, la nuance que je crois apercevoir : d’abord les deux premières phrases expriment l’opinion que a de lui-même en se comparant au reste de la nature ; mais il me semble que, dans la première, il y a quelque chose de plus que dans la seconde, la supériorité de l’homme y ressort comme une vérité a priori, et le jugement qu’il porte de lui-même s’y trouve comme une conséquence de cette vérité ; son opinion dérive de la loi immuable de son intelligence ; il ne saurait penser autrement. Dans la seconde phrase, au contraire, on pourrait ne voir qu’une vérité contingente, une de ces opinions de l’homme qui se forment quelquefois au point de vue variable de ses sensations, de ses passions, de ses intérêts ; un de ces jugements relatif et de circonstance, suivant lesquels l’homme se considère tantôt comme si grand et tantôt comme si petit : La phrase de Pascal, dans la forme comme au fond, me fait l’effet d’exprimer quelque chose de plus abstrait, de plus métaphysique, de plus rigoureux ; c’est en quelque sorte un axiome emportant avec soi sa démonstration. La phrase de M. Cousin semblerait laisser encore quelque prise au doute, à la discussion ; elle appartient davantage au domaine du sentiment. On peut s’étonner d’abord de voir établir de pareilles distinctions sur le simple changement de ces deux petits mots pour et à ; mais si l’on étudiait leurs différents emplois, je suis persuadé qu’on reconnaîtrait aisément que, dans une foule de cas, ils ont pour effet de produire des nuances analogues à celles ci-dessus, quelquefois même d’en établir de plus tranchées. La relation exprimée par à est, je crois, plus directe, plus intime, plus profonde, plus absolue : pour marque un lien moins étroit, un rapport moins immédiat et moins nécessaire. Pour est plus propre à désigner la destination, l’utilité ; à marque mieux le rapport d’appartenance, de jonction, de conformité ; il est plus général et plus métaphysique. Quand La Fontaine a dit, dans sa fable des Deux pigeons :

Amants….
Soyez-vous l’un à l’autre un monde

Il savait bien que pour, mis à la place de à, aurait affaibli l’expression de son idée. Quand je dis cet homme est pour moi, j’annonce qu’il est de mon avis, qu’il me prêtera son appui dans une circonstance donnée, mais si je dis qu’il est à moi, ne vais-je pas beaucoup plus loin ? N’exprime-je pas qu’il est entièrement à ma discrétion, que je puis compter sur lui en tout et pour tout ? — De même, en disant que telle chose est à moi, j’indique qu’elle m’appartient réellement et actuellement, tandis que si je dis qu’elle est pour moi, on peut douter si je la possède déjà, ou si elle m’est seulement destinée. Je dirais : le ciron est à l’éléphant ce que l’hysope est au cèdre, parce qu’il s’agirait ici d’établir un fait en quelque sorte mathématique, une vérité indépendante de l’action réciproque des êtres ainsi comparés entre eux. Pour ne conviendrait pas, parce qu’il semblerait, au contraire, impliquer cette dernière idée. En résumé, et comme je l’ai dit en commençant, dans la phrase de M. Cousin : l’homme est pour lui-même le plus prodigieux objet de la nature, ces mots pour lui-même me paraissent singulier : à ses propres yeux, suivant son expression, selon son opinion (sens qui n’impliquerai pas nécessairement que l’homme fût dans le vrai, absolu en se considérant comme l’objet le plus prodigieux de la création). Dans la phrase de Pascal l’homme est à lui-même, etc., je vois non-seulement que l’homme a cette opinion, mais qu’elle constitue, aux yeux du philosophe qui la rapporte, une vérité nécessaire et hors de contestation. Cette dernière phrase a, donc un sens plus étendu, plus profond, plus dogmatique, que l’autre ; et M. Cousin a modifié et affaibli la pensée de Pascal en substituant la préposition pour à la préposition à. Quant à la troisième phrase : l’homme est par rapport à lui-même, etc., elle rentre certainement dans le sens de celle de Pascal, mais elle a moins de vigueur et de précision. » Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même est également un abrégé de Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes (par rapport) à vous-même, c’est-à-dire par rapport à votre condition véritable que vous ignorez. La même analyse nous servira pour cette autre phrase : Ce joug n’est léger qu’à lui et à sa force divine. N’est-ce pas, en effet, un abrégé de : Ce joug n’est léger que (par rapport) à lui et à sa force divine ? Voyons maintenant les autres phrases : Se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs, Ne nous laissons pas abattre à la tristesse. D’abord nous ferons observer qu’un grand nombre d’écrivains ont employé cette construction : Je me laisse conduire à cet aimable guide : (Racine.) Pourquoi ne vous laisseriez-vous pas toucher à la bonté de votre Dieu ? (Massillon.) Des lecteurs dont le jugement ne se laisse pas maîtriser à la fortune. (Fléchier.) Ne vous laissez point abattre à la douleur. (Fénelon) Pourquoi vous laissez-vous laissez-vous abattre aux rigueurs de la fortune ? (Id.) Nous conviendrons qu’aujourd’hui on préfère employer par ; mais s’ensuit-il que à dans les phrases ne Pascal aussi bien que dans celles que nous venons de citer, soit mis à la place de par, comme le prétend M. Cousis avec la presque totalité des grammairiens et des lexicographes ? Nous sommes loin de le reconnaître, et c’est selon nous une étrange manière de rendre compte de la nature et de l’emploi d’un mot, que de dire qu’il est mis pour tel autre. Non, à ne tient pas la place de par dans les phrases citées, puisque, Ne nous laissons pas abattre à la tristesse, est un abrégé de Ne nous laissons pas abattre (en nous abandonnant) à la tristesse. A est donc bien pour à, ici comme partout, et nous ne ferons à Pascal ni à tous nos plus grands écrivains le reproche d’avoir employé d’avoir employé certains mots pour d’autres ; même à défaut d’une explication naturelle, nous préférerions avouer sincèrement notre ignorance. Bien certainement on peut dire et l’on dit en effet : ne nous laissons pas abattre par la douleur ; mais qu’est-ce que cela prouve ? Qu’on peut exprimer la même pensée en employant des mots différents ; c’est ainsi que deux voyageurs arrivent au même endroit après avoir parcouru deux routes opposées. Nous terminerons là cette critique nous croyons en avoir dit assez pour faire voir que la préposition à n’a qu’une seule fonction, qu’une seule valeur et qu’elle la conserve dans toutes les positions. Pour cela, il nous a suffi de faire en quelque sorte l’anatomie des phrases, c’est-à-dire de les ramener leur construction pleine. Il serait à souhaiter dit Dumarsais que les auteurs de dictionnaires eussent travaillé selon cette idée, ils se seraient épargné bien des remarques ou fausses ou inutiles, et auraient éclairci bien des passages qu’ils laissent dans les ténèbres.

— À s’emploie souvent devant les mots de, des. À de tels hommes rien ne saurait être impossible. (Acad.) A de plus hauts partis Rodrigue doit prétendre. (Corn.) A de moindres faveurs les malheureux prétendent. (Racine.) A des bœufs gémissants l’Egypte rend hommage. (L. Racine.) Leur âme ne s’abaisse jamais à des déguisements. (Molière.) A des temps si avantageux pour la république succédèrent ceux d’Adrien. (Volt.) Il est très rare que des premiers ministres s’abaissent à de si honteuses lâchetés, découvertes tôt ou tard. (Id.) Pygmalion se défie des gens de bien, et s’abandonne à des scélérats. (Fén.) Mais il faut remarquer que à et de ne sont jamais unis qu’il n’y ait ellipse, et cela se conçoit. En effet, puisque ces deux prépositions indiquent des rapports différents, elles doivent conséquemment avoir des compléments différents, et ne peuvent se réunir que parce qu’on sous-entend les mots qui devraient les séparer. Dire, comme certains lexicographes, que l’emploi de la préposition de après la préposition à constitue ce qu’on appelle un gallicisme, c’est absolument ne rien dire du tout. Si l’on ne trouve pas l’explication de ces sortes de tournures dans les dictionnaires, à quoi donc sont-ils utiles ? Corneille a dit : Ne vous abaissez pas à la honte des larmes. Or, s’il eût dit à des larmes, il eût fait usage d’une construction plus abrégée, et cette phrase reviendrait évidemment à celle-ci : Ne vous abaissez pas à (la honte) des larmes. Corneille nous donne donc les moyens d’analyser toutes les phrases semblables. À de tels hommes rien ne saurait être impossible, c’est pour : rien ne saurait être impossible à l’effort, à la puissance, au pouvoir de tels hommes. A de plus hauts partis Rodrigue doit prétendre, c’est pour : Rodrigue doit prétendre à (l’avantage, à l’honneur) de partis plus hauts. Leur âme ne s’abaisse jamais à des


déguisements, c’est-à-dire, leur âme s’abaisse jamais à (l’emploi) des déguisements, etc.

Arbre à fruit ou à fruits. Faut-il mettre le nom qui suit la préposition au singulier ou au pluriel ? Les dictionnaires ne donnent pas la solution de cette difficulté, qui est cependant assez embarrassante, et il serait même fort inutile de les consulter sur ce point, tant ils sont peu d’accord non-seulement les uns avec les autres, mais le plus souvent aussi avec eux-mêmes. En voici la preuve. Veut-on savoir, par exemple, si l’on doit écrire des fruits à pépin, ou à pépins, des fruits à noyau ou à noyaux, des groseilles à maquereau ou à maquereaux des plantes à fleur au à fleurs etc. etc ? Eh bien qu’on ouvre les dictionnaires à ces différents mots, et l’on verra qu’ils emploient le singulier et le pluriel dans les mêmes circonstances. C’est ainsi qu’on trouve dans l’Académie, au mot pépin : Les fruits à pépin n’ont pas réussi cette année. Les arbres à pépin se plaisent dans cette terre. Et au mot noyau : Il y a des fruits à pépins, et des fruits à noyau. Dans Napoléon. Landais, au mot poire : Sorte de fruit à pépin ; et au mot pomme sorte de fruit à pépins, (Nous ne parlons pas de la différence d’orthographe suivie dans ce dictionnaire pour le mot pépin, qui est écrit ici sans accent, tandis qu’au mot pépin on le trouve avec un accent). Boiste et Laveaux écrivent fruit à pépins, et Noël et Chapsal, fruit à pépin. Voilà pour le seul mot pépin. La même chose a lieu pour les autres mots. Nous n’en citerons que quelques exemples : Des fruits à noyau. (Acad.) Des fruits à noyaux (Boiste). Des groseilles à maquereau. (Acad., Boiste et Nap. Land.) Des groseilles à maquereaux. (Lav.) Acacia, arbre à fleurs blanches et odorantes. (Acad.) Tournesol, plante à grande fleur radiée. (Acad.) Coq-des-jardins, plante vivace à fleur flosculeuse. (N. Land.) Dahlia, il y en a plusieurs espèces : l’une à grandes fleurs rouges, (Id.) etc. Ces citations, qu’il nous serait facile de multiplier suffisent sans doute pour donner une idée de l’incertitude qui règne sur ce point, et par conséquent de l’intérêt que présente sa solution. Pour savoir à quel nombre on doit mettre le nom qui suit la préposition à, il faut principalement s’attacher à distinguer le point de vue sous lequel il est employé.

— Quand deux noms sont unis par à, le second se met au singulier toutes les fois qu’il ne sert qu’à spécifier la nature du premier. Un arbre, des arbres à pain. Une arme des armes à feu. Un bateau, des bateaux à vapeur. Des bêtes à laine. Une boite, des boîtes à thé, à double fond. Une boussole, des boussoles à cadran. Une canne, des cannes à sucre, à épée, à pomme d’or, à pomme d’argent, à pomme d’ivoire. Un cadran, des cadrans à reflexion, à réfraction. Un clou, des clous à crochet, à tête, à grosse tête, à tête ronde, à ardoise, à soufflet. Un couteau, des couteaux à ressort, à gaine, à manche d’ivoire. Une cuillère, des cuillères à pot, à soupe, à café. Un fusil, des fusils à vent. Un homme, des hommes à imagination. Une horloge, des horloges à pendule. Un instrument, des instruments à vent. Une machine, des machines à vapeur. Une maison des maisons à porte cochère. Une manchette, des manchettes à dentelle. Une montre, des montres à répétition. Une mouche, des mouches à miel, à viande. Un moulin, des moulins à farine, à poudre, à papier, à eau, à vent, à foulon. Un oiseau, des oiseaux à bec fin. Un plat, des plats à barbe. Une pierre, des pierres à fusil, à rasoir. Une pension des pensions à vie. Une pompe, des pompes à feu, à vapeur. Une pomme, des pommes à cidre. Une rente, des rentes à perpétuité. Un sac, des sacs à ouvrage. Une terre, des terres à blé, à foulon. Une table, des tables à tiroir. Une vache, des vaches à lait.

– Quand à l’idée de spécification se joint l’idée de pluralité, le nom qui suit la préposition à, se met au pluriel. Une bague, des bagues à diamant, une bête, des bêtes à cornes. Une chasse, des chasses à porteurs. Un chandelier, des chandeliers à branches. Un chapeau, des chapeaux à grands bords. Une femme des femmes à prétention, à sentiments, à vapeurs. Des gens à bons mots, à scrupules. Un homme des hommes à paradoxes, à préjugés, à projets, à systèmes. Un instrument des instruments à cordes. Un lit, des lits à colonnes. Un pays, des pays à pâturages. Un serpent, des serpents à sonnettes. En ramenant, comme nous l’avons fait plus haut, ces sortes d’expressions à leur intégrité, on comprend aisément pourquoi le nom qui suit à doit être au pluriel.

Exceptions. On trouve cependant dans les écrivains certains mots mis au singulier et au pluriel dans des circonstances tout à fait identiques. Les exemples ne nous manqueront pas. En voici un certain nombre : Dans le noisetier, les fleurs à pistil sont éloignées des autres. (J. J. Rouss.) Dans le châtaignier, les fleurs à pistils sont remplacées par deux ou trois fruits très-près l’un de l’autre. (ld.) Dans le buis, les fleurs à étamine ont un calice à trois feuilles, avec deux petites à la pointe ? (Id.) Le mûrier porte les fleurs à étamine sur un chaton. (Id.) Les Grecs et les Romains ont tiré de l’Asie la plupart des arbres à fruit que nous cultivons aujourd’hui. (B. de St-P.) Les flancs de la colline sont tapissés de groupes d’arbrisseaux à fruits ou à fleurs. (Id.) Les branches à fleur du genêt sont courtes et n’ont point d’épines. (J. J. Rousseau.) En Amérique les plantes à fleurs sont sans nombre. (Chateaub.) Jean-Jacques m’a fait observer, au bas des feuilles de tous les fruits à noyau, deux petits tubercules qui les caractérisent. (B. de St-P.) Les arbres du verger, chargés de fruits à noyaux et à pépins, sont encore une autre richesse. (Volt.) Nous passâmes un torrent desséché ; son lit étroit était rempli de lauriers-roses et de gatiliers, arbuste à feuille longue, pâle et menu, dont la fleur lilas, un peu cotonneuse, s’allonge en forme de quenouille. (Chateaub.) Le bec-de-grue à feuilles de vigne a des feuilles ovales, montantes et pubescentes, qui ont l’odeur du baume quand on les frotte. (J. J. Rouss.) Les plus grands courants d’eaux vives qu’il y ait au monde sortent tous des montagnes à glace. (B. de St-P.) La nature a multiplié les montagnes à glaces dans la voisinage des pays chauds. (Id.) Nous avons des montagnes à glace qui peuvent porter tous les végétaux du nord, et des vallées à réverbère qui peuvent produire la plupart de eaux du midi. (Id.) Les fleurs à réverbère sphérique sont celles dont les pétales sont figurés en portions de sphère. (Id.) Les patas à queue courte. (Buffon.) Quels astres merveilleux, si toutefois ce sont des astres, que ces corps lumineux à longues queues qui traversent les aires des planètes sans déranger leur cous, et emploient des siècles à s’approcher et à s’éloigner du soleil. (B. de St-P.) En citant ces exemples, notre intention n’est nullement de nous étayer de l’autorité des écrivains d’où nous les avons extraits. L’orthographe adoptée dans ces passages est, on le pense bien, plutôt celle des imprimeurs que des écrivains eux-mêmes, et cela est tellement vrai, qu’il n’est pas rare de voir le mêma mot changer d’orthographe en passant d’édition en édition. Aucune règle ne peut donc nous guider en cette circonstance. Le sens seul doit déterminer le nombre qu’il faut employer. En effet, on peut écrire une plante à fleur blanche ou fleurs blanches ; une plante à feuille longue ou feuilles longues ; des arbres à fruit ou à fruits, par la raison qu’on dit très bien la fleur ou les fleurs, la feuille ou les feuilles de cette plante, ces arbres produisent du fruit ou des fruits. En se servant du singulier, on envisage les objets en général ; tandis qu’en employant le pluriel, on les prend dans un sens particulier, individuel. Nous devons faire remarquer cependant que l’usage le plus général est de mettre le singulier, à moins que le gens ne nécessite absolument l’emploi da pluriel, comme cela a lieu pour quelques mots, et entre autres pour le mot noyau. On n’écrira pas, par exemple, en parlant des nèfles, que ce sont des fruits à noyau, puisque, de l’aveu même de l’Académie, ce sont des fruits qui ont plusieurs noyaux ; il faut absolument : les nèfles sont des fruits à noyaux. Mais, bien qu’il suit permis de se servir du singulier ou du pluriel, selon le point de vue de l’esprit, nous n’en pensons pas moins qu’il est ridicule de dire, comme M. Nap. Landais, qu’une poire est une sorte de fruit à pépin, en mettant pépin au singulier, et qu’une pomme est une sorte de fruit à pépins, en mettant ici pépin au pluriel. Il fallait évidemment l’un ou l’autre nombre dans ecs deux cas.

– Jusqu’ici nous avons vu la préposition i toujours placée entre deux noms ; mais il arrive souvent que cette préposition est précédée d’un verbe. Le même principe doit être encore appliqué ici. On écrit avec le singulier aller à pied, aller à cheval, aller à marche forcée, tenir à injure, arriver à grand bruit, etc. parce que le mot qui suit est pris dans un sens général et ne rappelle à l’esprit aucune idée de nombre. Mais on écrit avec le pluriel : sauter à pieds joints, aller à pas précipités, marcher à pas lents, supplier à mains jointes, recevoir à bras ouverts, marcher à petits pas, voguer à pleines voiles, etc., parce que l’idée de pluralité se présente naturellement à l’esprii. Le nombre que l’on doit employer en pareille circonstance étant presque toujours indiqué par le sens, il n’y a donc aucune difficulté à cet égard.

D’homme à homme, d’hommes à hommes. On emploie le singulier ou le pluriel, selon qu’on a dans l’esprit l’idée d’un ou de plusieurs : De voleur à voleur, on parle probité. (Fr. de Neufeb.) De larrons à larrons il est bien des degrés (Id.) Disons-nous nos secrets de compère à compère. (Piron.) De valets à valets, on ne se doit pas taire. (Id.) la différence qui se trouve d’homme à homme se fait encore plus sentir de peuple à peuple. (Marm.) Le consistoire prétendait que la loi en question n’était que de calvinistes à calvinistes non pas de calvinistes à papistes. (Volt.) Reviens becqueter, dans ma main à tes besoins toujours ouverte, le millet choisi grain à grain. (Boisard.) Corsaires â corsaires, l’un l’autre s’attaquant, ne font pas leurs affaires. (La Font.) Il nous semble que le sens exigeait de voleur à voleur, et de larrons à larrons ; car, pour parler probité entre voleurs, il suffit du voleur qui porte la parole et du voleur qui écoute ; mais, pour établir bien des degrés entre les larrons, il faut comparer des larrons avec d’autres larrons. Nous ferons cependant observer que le singulier est peut-être plus fréquent. Les caractères vifs ou lents, gais ou sérieux, se trouvent souvent disséminés dans la même ville de frère à