Page:Binet - La Vie de P. de Ronsard, éd. Laumonier, 1910.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
97
ET CRITIQUE

point d’appui solide pour asseoir une culture latine supérieure et inculquer à ses élèves, d’une manière plus intelligente, plus rationnelle, les secrets de l’idiome si bien manié par Cicéron et par Virgile. » (Thèse sur J. du Bellay, pp. 51-52.)

Pour Mlle Evers, l’artifice nouveau auquel Binet fait allusion pourrait bien avoir été simplement la traduction d’œuvres grecques en latin ; ce qui le laisse supposer, c’est ce passage de l’épitre liminaire de l’Hécube d’Euripide, traduite par Lazare de Baïf en 1544 et dédiée à Francois Ier : « Or est-il, Syre, que quelques jours passez, me retrouvant en ma petite maison, mes enfans, tant pour me faire apparoir du labeur de leur estude que pour me donner plaisir et recreation, m’apportoyent chascun jour la lecture qui leur estoit faicte par leur precepteur de la tragedie d’Euripide nommée Hecuba, me la rendant de mot à mot de Grec en Latin. » (Cf. Frémy, op. cit., p. 16 ; L. Pinvert, op. cit., pp. 83 et 103). — Mais cette argumentation serait, semble-t-il, plus opportune si Binet avait écrit : « Dorat lui apprenait la langue Grecque par la Latine. » D’ailleurs la phrase de Lazare de Baïf s’applique-t-elle à Dorat et faut-il, comme l’ont fait Frémy et L. Pinvert, comprendre Ronsard dans l’expression « mes enfans » ? On peut en douter. Je ne vois pas bien Ronsard, qui ne savait pas un mot de Grec quand il suivit la première leçon de Dorat dans la seconde moitié de 1544, traduire immédiatement du Grec en Latin l’Hécube d’Euripide. Toutefois, il est vraisemblable que Dorat, dans les leçons particulières dont profitait gratuitement Ronsard au domicile de Lazare de Baïf, s’occupait surtout de l’élève payant, lequel était en 1544 très capable de cet effort ; et l’on peut admettre que le « bon » Lazare, parlant de l’explication commune, n’ait pas voulu humilier son protégé en faisant une distinction entre ses deux « enfans ».

P. 12, l. 11. — la place. C’est aux œuvres d’Antoine de Baïf lui-même que Binet a emprunté ce tableau. Baïf dit positivement que Ronsard et lui étaient pensionnaires chez Dorat. Voici le passage, débarrassé de sa graphie bizarre :

Toi, noble Ronsard, qui premier, d’un chaud desir
Osant t’écarter des chemins communs fraiés
La France enhardis à se hausser bien plus haut,
Loin outrepassant tes davanciers trop couars.
Toi, dont la hantise encor en mes jeunes ans
Me mit de vertu dans le cœur un éperon,
Quand c’est que mangeant sous Dorat d’un même pain
En même chambre nous veillions, toi tout le soir,
Et moi davançant l’aube dés le grand matin,
Quand nous proupensions en commun ce fait nouveau.

(Etrénes de poézie fransoêze. Pièce Aus Poêtes Fransoês. Edition des Œuvres de Baïf, par Marty-Lav., V, p. 323.)

Il est possible aussi que Binet se soit inspiré de ces lignes de Velliard, qui aurait puisé directement à la source des œuvres de Baïf : « Sic enim hi duo futura Galliae lumina in simili studio dissimilibus curis contendebant, ut Petrus Ronsardus ad multam noctem semper vigilaret. Antonius autem Baïffius adeò manè surgeret, ut cum ille iret dormitum, hic experrectus Musis incumberet : ita ut continuis amborum