Page:Bjørnson - Chemin de fer et cimetière.djvu/14

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nistration de Lars se montrèrent sous la forme de pertes subies par la plupart des propriétaires de la paroisse. Un brusque changement se produisit dans l’opinion publique. L’opposition trouva bientôt son chef dans la personne de Knud Aakre, qui était rentré dans le conseil sous le patronage de Lars lui-même !…

La lutte s’engagea sur-le-champ. Les jeunes gens qui avaient reçu dans le temps les enseignements de Knud étaient devenus des hommes faits, les membres les plus éclairés, les plus actifs de la paroisse. C’est à eux que Lars eut affaire désormais, et, depuis leur enfance, ces jeunes gens lui gardaient rancune. Un soir, après une séance orageuse du conseil, comme il s’était arrêté sur les degrés à l’entrée de sa maison, il lui sembla entendre comme une rumeur lointaine s’avançant contre lui de tous les gards, de toutes les demeures : c’était le pressentiment que, le jour où la ruine s’abattrait sur la paroisse, la caisse d’épargne et lui-même seraient renversés, et que, pour prix de ses longs efforts, l’animadversion de tous retomberait en imprécations sur sa tête.

Dans ces jours de conflits et de découragement, des commissaires, envoyés par la direction du chemin de fer central pour déterminer la direction de la nouvelle voie, arrivèrent un soir à Högstad, le premier gard à l’entrée de la paroisse. Dans l’entretien qu’il eut alors avec les commissaires, Lars apprit qu’il s’agissait de savoir si la nouvelle ligne traverserait la vallée, ou bien suivrait une direction parallèle, de l’autre côté des montagnes.

Ce fut pour lui comme un éclair de lumière ! S’il pouvait réussir à faire passer la ligne du chemin de fer par la vallée, les propriétés foncières acquerraient de la valeur, lui-même serait sauvé, et sa renommée passerait à la postérité la plus reculée. Il ne put s’endormir cette nuit-là ; ses yeux étaient éblouis par une lumière éclatante, parfois même il lui semblait entendre le roulement d’une locomotive… Le lendemain, il accompagna les commissaires dans leur inspection locale ; ce fut son cheval qui les conduisit, et les ramena le soir à Högstad. Le jour suivant, ils se rendirent dans l’autre vallée, Lars toujours avec eux ; tous revinrent passer la nuit chez lui. Ils trouvèrent le gard brillamment illuminé ; les notables de la paroisse