Page:Bjørnson - Chemin de fer et cimetière.djvu/15

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avaient été conviés à une grande fête donnée en l’honneur des commissaires et qui dura jusqu’au lendemain. Tout cela, pourtant, sans résultat utile. Plus on examina de près l’état des choses, plus on dut se convaincre que l’établissement projeté du chemin de fer se trouvait en présence de cette alternative : pour pénétrer dans la vallée, que fermait une gorge étroite, la voie nouvelle devait suivre à peu près le parcours de la route de terre actuelle, et s’élever ainsi à une altitude qui la rendait impossible, ou bien prendre au plus court, mais sur cette ligne directe il fallait, de toute nécessité, faire passer la voie au travers de l’ancien cimetière ; or, c’était peu de temps auparavant que le nouveau « champ des morts » avait été ouvert ; la dernière inhumation qui s’était faite dans l’autre était récente : la situation étant telle, le projet devenait inexécutable, et toute perspective d’avoir jamais le chemin de fer était illusoire.

« Pourtant, se disait Lars, s’il ne s’agit que d’emprunter une minime portion du cimetière abandonné, pour que la paroisse soit gratifiée d’un aussi grand bienfait que le passage de la ligne ferrée, serait-il donc possible qu’on dût y renoncer ? N’était-il pas tenu, lui, Lars, de faire appel à toute son énergie, à tout ce qui lui restait encore d’influence, pour écarter cet obstacle ?… » Plein de cette pensée, il se rendit immédiatement chez le pasteur et le doyen, puis auprès du conseil diocésain. Il parla, il parlementa. Armé de tous les faits et de tous les chiffres possibles concernant l’immense avantage pour la vallée de posséder cette voie ferrée qu’appelaient les vœux de la population, il emporta tous les suffrages. Moyennant le transfert dans le nouveau cimetière de quelques-uns des corps inhumés dans l’ancien, toute objection pouvait être considérée comme nulle et non avenue ; on lui donna l’assurance que l’autorisation royale, indispensable dans ce cas particulier, serait obtenue sans difficulté. On ajouta que tout ce qu’il lui restait à faire était de s’entendre sur la question avec le conseil paroissial.

La population était aussi excitée que Lars lui-même. L’esprit de spéculation qui, depuis quelques années, l’avait emporté dans la paroisse, tournait à une joie folle. On ne parlait, on ne s’occupait plus que du voyage de Lars et de ses résultats possibles. Quand il revint porteur de bonnes nouvelles, on lui rendit tout honneur, on chanta des actions de grâces à sa