Page:Bjørnson - Chemin de fer et cimetière.djvu/3

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Knud inclinait à voir dans cette proposition une offense personnelle ; aussi n’en avait-il parlé à personne, pas même à Lars, et celui-ci n’entrait jamais dans une idée avant que quelqu’un d’autre l’eût mise en avant.

En sa qualité de président, Knud Aakre lut simplement la proposition, sans la faire suivre d’aucun commentaire, mais comme il en avait l’habitude, il cherchait des yeux Lars qui se tenait d’ordinaire un peu à l’écart, avec un brin de paille entre ses dents. Ce brin de paille ne le quittait pas quand il prenait part à un entretien ; il s’en servait comme d’un cure-dent, ou bien le tenait négligemment au coin de sa bouche, le faisant tourner plus ou moins vite suivant sa disposition d’esprit. À sa surprise, Knud s’aperçut que la paille se mouvait très rapidement.

— Pensez-vous que nous devions agréer ce projet ? demanda-t-il vivement.

Lars répondit sèchement :

— Oui, je le crois.

Les conseillers, sentant bien que Knud était d’une opinion tout opposée, regardaient Lars avec surprise, mais celui-ci ne dit rien de plus, et on ne le questionna pas davantage. Knud passa à un autre objet, comme si rien ne s’était passé. Ce ne fut qu’à la clôture de la séance, qu’il demanda, avec une apparente indifférence, après avoir résumé la question, si ce qu’on avait de mieux à faire n’était pas de renvoyer la proposition au bailli pour plus ample informé, puisqu’il était évident qu’elle ne répondait pas aux idées de la population, qui appréciait son grenier à blé. Personne ne répliqua. Knud demanda s’il devait inscrire dans le registre la mention que la mesure proposée ne semblait pas opportune.

— Un vote contre, ajouta Lars.

— Deux votes, cria un autre.

— Trois votes, dit un troisième…

Et, avant que le président eût pu se rendre compte de ce qui se passait, la majorité s’était prononcée en faveur de la motion du bailli.

Knud fut si surpris qu’il oublia de faire aucune opposition. Il résuma le protocole du jour, et lut d’une voix basse : « La proposition est recommandée… et ajournée. »