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GILLES DE RAIS

cruautés. Dans la société du moyen âge, la femme était intimement liée à la vie de l’homme ; elle était le charme de son foyer et sa gloire dans la vie publique : Gilles avait plus d’intimité avec ses valets qu’avec sa femme ; sa fille elle-même, qui avait le cœur plein de tendresse[1], ne disait rien à son âme par son sourire ; ses caresses le laissaient insensible : en lui, le cœur s’était durci par la volupté cruelle. Pendant que, reléguées toutes les deux dans la famille de Thouars ou au fond du château de Pouzauges, elles pleuraient sur leur abandon et sur leur ruine prochaine, sans se douter que l’avenir leur réservait des choses bien autrement dures et honteuses à déplorer, lui, demeurait des mois entiers et même des années, au loin, à Angers, à Orléans, avec la foule de ses flatteurs et de ses compagnons. Ils l’accompagnaient partout, à la ville, au théâtre, à l’église, dans ses voyages[2]. Il avait le goût des arts : ils s’étudiaient à lui en procurer la jouissance ; il aimait les représentations scéniques : ils dressaient des théâtres ; il goûtait la pompe de sa chapelle et l’éclat des fêtes religieuses : un clergé, tout entier à ses ordres, les lui donnait plus belles que dans les cathédrales et les églises des plus riches abbayes ; il aimait les joyeux convives, les rires, les fêtes mondaines : ses flatteurs riaient, étaient joyeux, versaient à grands flots le vin et la joie dans les coupes, à ces jours de fête surtout, où « pour tout venant, coulaient l’hypocras et le clairet[3] ». Pour ces plaisirs-là, toute une troupe d’esclaves s’agite : clercs, soldats, artistes, aventuriers, valets ; tout ce monde veut la joie, des faveurs, et surtout des profits : qu’importe à Gilles, puisque tout ce peuple est joyeux ?

Mais aux plaisirs secrets que la peur, sinon la honte, voile de ténèbres, seuls, quelques initiés, quelques intimes, complices des crimes de leur maître et liés à lui par les plus

  1. Marchegay, Documents relatifs à Prégent de Coétivy ; Tours, 1876, in-8o Compte du 6 mars au 12 janvier 1450-1451, p. 34, etc.
  2. Mém. des Héritiers, fo 9, ro, 10, vo. Pièces communiquées par M. Doinel.
  3. Proc, ecclés., Acte d’accusation, p. XXVI, XXX.