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GILLES DE RAIS.

amis, notre nom sans tache ou souillé, les lieux qui ont été les témoins joyeux ou attristés de nos vertus ou de nos vices, tous nos souvenirs s’arrêtent autour de nous comme un peuple d’ombres qui nous a suivis dans la route. À la veille du supplice et durant la dernière nuit, l’on ne peut douter que Gilles, en pleine possession de ses souvenirs et de son imagination, n’ait reporté sur sa vie, dont la trame allait être si brusquement coupée, le long regard mélancolique de l’adieu et du regret. Penché sur le bord de l’abîme de corruption où il était tombé et d’où l’ont retiré le repentir et la foi, il y replonge un regard effaré, se demandant si c’est bien lui, qui, par ses crimes, l’a peuplé des monstres qui l’habitent. Le malheur a cela d’excellent qu’il brise les résistances, abat les passions, amollit les cœurs les plus durs et ploie, comme une faible tige, les plus indomptables natures. Pourtant, parmi tous ces motifs de désespoir, son âme ne se découragea pas : car c’est une grandeur, après tout, de se sentir misérable ; le sentiment que l’homme tombé a de ses misères le secoue et peut lui imprimer un mouvement qui le relève. Ne comptant plus sur les hommes, Gilles établit son espérance en Dieu et se confessa au religieux désigné par l’évêque pour entendre ses péchés. Son espoir dans la miséricorde divine fut inébranlable à tous les assauts : quels qu’aient été le soir et la nuit qui précédèrent son exécution, la matinée du lendemain où il mourut, nous le montre jusqu’au trépas tel qu’il nous a paru dans les derniers jours du procès : pécheur plein de repentir et chrétien rempli d’espérance et de courage. Cet homme qui avait si mal vécu, sut bien mourir.

Sa dernière prière avait été portée à Jean de Malestroit par Pierre de l’Hospital, et l’évêque s’était rendu facilement à ses désirs. La nouvelle se répandit aussitôt dans la ville de Nantes que le lendemain, vers neuf heures du matin, une procession solennelle et générale du clergé et du peuple, « en foule immense[1] » aurait lieu à travers les rues de la

  1. Proc. civ., fo 413, vo.