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SA FEMME.

quelque temps après, elle apparaît au château de Champtocé ; puis, enfin, elle va ensevelir sa douleur et sa honte au fond du château de Pouzauges, où son mari ne vient jamais. Avait-elle deviné quelque chose de la triste réalité ? Ou bien cédait-elle à la douleur de se voir abandonnée ? Quelques-uns ont prétendu que son terrible époux la força un jour d’assister à ses orgies[1] : mais le fait ne repose sur aucun document connu et ne peut être entendu de certains crimes. Quelque impudente que soit la débauche, il est des excès tels qu’ils demandent l’ombre et le silence, et l’on sait avec quelles précautions Gilles s’enveloppait de mystère pour certaines actions. D’autres ont dit qu’elle avait voulu se soustraire aux brutalités de son époux et ce fait porte en lui une certaine apparence de vrai, qui le rend au moins vraisemblable. Peut-être y eut-il dans les motifs de sa retraite quelque chose de tout cela : il paraît bien difficile, en effet, qu’elle n’ait pas eu quelque soupçon des crimes qui se commettaient dans l’ombre autour d’elle, et qu’elle n’ait pas été en butte aux mauvais traitements du cruel baron ; mais c’était assez pour fuir l’air empesté que l’on respirait auprès de Gilles, que la douleur de l’épouse et les sollicitudes de la mère.

L’épouse délaissée devient ordinairement une mère plus affectueuse : l’amour maternel se nourrit de tout l’amour conjugal dédaigné. Un seul gage de leur première et mutuelle tendresse avait été donné à Gilles et à Catherine, une jeune et douce enfant de huit à dix ans ; ce fut sur elle que Catherine reporta toute son affection. Pour consoler son âme et occuper sa vie, heureusement elle avait des devoirs. L’homme a, pour oublier les soucis de l’intérieur, l’activité et le mouvement des affaires extérieures ; une femme honnête, abandonnée par son époux, n’a pour se consoler que ses souvenirs… et ses devoirs, dont le premier est l’éducation de ses enfants : douce tâche qui charme bien des

  1. Proc. civ., fo 319, ro, Armand Guéraud l’affirme et sur la foi des Procès ; or, il n’y a rien, absolument rien, dans les deux Procès, qui fasse même soupçonner cette brutalité.